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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Le père de Takezō, Munisai, avait servi autrefois sous <strong>le</strong><br />

seigneur Shimmen, d’Iga. Dès que Takezō eut appris qu’Ishida<br />

Mitsunari <strong>le</strong>vait une armée, il se persuada qu’il tenait enfin la<br />

chance de sa vie. Son propre père avait été samouraï. N’était-il<br />

pas tout naturel qu’il fût fait samouraï, lui aussi ? Il brûlait d’en<br />

découdre, de prouver son courage, de faire se propager la<br />

rumeur à travers <strong>le</strong> village, comme une traînée de poudre, qu’il<br />

avait décapité un général ennemi. Il avait désespérément voulu<br />

prouver qu’il était quelqu’un avec <strong>le</strong>quel il fallait compter, que<br />

l’on devait respecter – <strong>et</strong> non point <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> trublion du village.<br />

Takezō rappelait à Matahachi tout cela, <strong>et</strong> Matahachi<br />

approuvait de la tête :<br />

— Je sais bien. Je sais bien. Mais je ressentais la même<br />

chose. Tu n’étais pas <strong>le</strong> seul.<br />

Takezō reprit :<br />

— Si j’ai voulu que tu viennes avec moi, c’est que nous avons<br />

toujours tout fait ensemb<strong>le</strong>. Mais quel tapage a fait ta mère, à<br />

crier à tout <strong>le</strong> monde que j’étais un fou <strong>et</strong> un vaurien ! Et ta<br />

fiancée, Otsū, <strong>et</strong> ma sœur <strong>et</strong> tous <strong>le</strong>s autres qui déclaraient en<br />

p<strong>le</strong>urant que <strong>le</strong>s garçons du village devaient rester au village.<br />

Oh ! peut-être avaient-ils <strong>le</strong>urs raisons. Nous sommes tous deux<br />

fils uniques, <strong>et</strong> si nous nous faisons tuer il n’y aura personne<br />

pour perpétuer <strong>le</strong> nom de notre famil<strong>le</strong>. Mais qu’importe ! Ce<br />

n’est pas une existence !<br />

Ils s’étaient glissés hors du village sans être vus, <strong>et</strong> avaient<br />

la conviction que rien ne <strong>le</strong>s séparait plus des honneurs du<br />

combat. Pourtant, une fois parvenus au camp de Shimmen, ils<br />

se trouvèrent nez à nez avec <strong>le</strong>s réalités de la guerre. On <strong>le</strong>ur<br />

déclara d’emblée qu’ils ne seraient point faits samouraïs, ni tout<br />

de suite, ni même dans quelques semaines, quels qu’eussent été<br />

<strong>le</strong>urs pères. Pour Ishida <strong>et</strong> <strong>le</strong>s autres généraux, Takezō <strong>et</strong><br />

Matahachi n’étaient que deux lourdauds de la campagne, guère<br />

plus que des enfants qui jouaient avec des lances. Ce qu’ils<br />

pouvaient obtenir de mieux était qu’on <strong>le</strong>ur permît de rester<br />

comme simp<strong>le</strong>s soldats. Leurs responsabilités, si l’on pouvait <strong>le</strong>s<br />

nommer ainsi, consistaient à porter des armes, des gamel<strong>le</strong>s de<br />

riz <strong>et</strong> autres ustensi<strong>le</strong>s, à couper de l’herbe, à travail<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s<br />

équipes des routes, <strong>et</strong> quelquefois à al<strong>le</strong>r en reconnaissance.<br />

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