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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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creux des l<strong>et</strong>tres d’une argi<strong>le</strong> b<strong>le</strong>uâtre qui donnait une patine de<br />

bronze. A droite, on lisait ces mots :<br />

Et à gauche :<br />

Ô scribes, ne soupçonnez pas<br />

Celui qui aime à clore son château.<br />

Ici ne trouverez aucun homme d’épée,<br />

Seu<strong>le</strong>ment, dans <strong>le</strong>s champs, <strong>le</strong>s jeunes rossignols.<br />

Ce poème s’adressait aux « scribes », c’est-à-dire aux<br />

personnages du château, mais il présentait une signification<br />

plus profonde. Le vieillard n’avait pas fermé sa porte aux seuls<br />

étudiants errants mais à toutes <strong>le</strong>s affaires de ce monde, à ses<br />

honneurs aussi bien qu’à ses tribulations. Il avait tiré un trait<br />

sur <strong>le</strong>s désirs profanes, tant <strong>le</strong>s siens propres que ceux d’autrui.<br />

« Je suis encore jeune, pensa Musashi. Trop jeune ! C<strong>et</strong><br />

homme est tout à fait hors de ma portée. »<br />

Le désir de frapper au portail se dissipa. Et même, l’idée de<br />

tomber sur <strong>le</strong> vieil homme reclus paraissait maintenant<br />

barbare ; Musashi eut grand-honte.<br />

Seuls, <strong>le</strong>s f<strong>le</strong>urs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s oiseaux, <strong>le</strong> vent <strong>et</strong> la lune, devaient<br />

franchir ce seuil. Sekishūsai avait cessé d’être <strong>le</strong> plus grand<br />

escrimeur du pays, <strong>le</strong> seigneur d’un fief ; c’était un homme<br />

r<strong>et</strong>ourné à la nature ; il avait renoncé aux vanités de la vie<br />

humaine. Bou<strong>le</strong>verser sa maison serait un sacrilège. Et quel<br />

honneur, quel<strong>le</strong> distinction tirer de la défaite d’un homme pour<br />

qui honneur <strong>et</strong> distinction étaient devenus des mots vides de<br />

sens ?<br />

« J’ai bien fait de lire cela, se dit Musashi. Si je ne l’avais pas<br />

lu, je me serais couvert de ridicu<strong>le</strong> ! »<br />

Le so<strong>le</strong>il était maintenant assez haut dans <strong>le</strong> ciel, <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />

rossignols avaient cessé de chanter. D’une certaine distance à<br />

flanc de colline parvint un bruit de pas rapides. Un groupe de<br />

p<strong>et</strong>its oiseaux effrayés s’envola. Musashi regarda à travers <strong>le</strong><br />

portail pour voir qui venait.<br />

C’était Otsū.<br />

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