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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— ... Allons, allons, ne p<strong>le</strong>urez plus, reprit Tanzaemon en lui<br />

tapotant <strong>le</strong> dos.<br />

Mais <strong>le</strong> frémissement du cou blanc de la jeune fil<strong>le</strong> ne lui<br />

inspirait pas de véritab<strong>le</strong> sympathie. Un autre homme lui avait<br />

déjà volé c<strong>et</strong>te peau douce <strong>et</strong> son doux parfum.<br />

Il s’aperçut que <strong>le</strong> singe s’était faufilé jusqu’à la marmite <strong>et</strong><br />

mangeait ; aussi écarta-t-il de son genou, sans cérémonie, la tête<br />

d’Akemi, <strong>et</strong> tança-t-il vertement l’animal en lui montrant <strong>le</strong><br />

poing. Cela ne faisait pas l’ombre d’un doute : la nourriture<br />

importait plus que <strong>le</strong>s souffrances d’une femme.<br />

Le <strong>le</strong>ndemain matin, Tanzaemon annonça qu’il se rendait<br />

en vil<strong>le</strong> avec sa sébi<strong>le</strong> de mendiant.<br />

— Restez ici en mon absence, dit-il. Je dois me procurer de<br />

l’argent pour vous ach<strong>et</strong>er des remèdes ; <strong>et</strong> puis, il nous faut du<br />

riz <strong>et</strong> de l’hui<strong>le</strong> pour manger quelque chose de chaud.<br />

Son chapeau n’était pas du modè<strong>le</strong> à coiffe haute, en<br />

roseaux tressés, comme ceux de la plupart des prêtres<br />

itinérants, mais un couvre-chef ordinaire en bambou ; quant à<br />

ses sanda<strong>le</strong>s de pail<strong>le</strong>, usées <strong>et</strong> fendues aux talons, el<strong>le</strong>s<br />

traînaient par terre. Tout en lui, <strong>et</strong> non point seu<strong>le</strong>ment sa<br />

moustache, avait quelque chose de mal soigné. Pourtant, c<strong>et</strong><br />

épouvantail ambulant avait coutume de sortir chaque jour, sauf<br />

s’il p<strong>le</strong>uvait.<br />

Comme il avait mal dormi, ses yeux étaient particulièrement<br />

chassieux ce matin-là. Akemi, après ses larmes <strong>et</strong> sa scène de la<br />

veil<strong>le</strong> au soir, avait pris son gruau, abondamment transpiré, <strong>et</strong><br />

dormi profondément <strong>le</strong> reste de la nuit. Tanzaemon n’avait<br />

guère fermé l’œil. Même alors qu’il marchait dans <strong>le</strong> brillant<br />

so<strong>le</strong>il du matin, la cause de son insomnie ne <strong>le</strong> quittait pas. Il ne<br />

pouvait la chasser de son esprit.<br />

« El<strong>le</strong> est à peu près du même âge qu’Otsū, se disait-il. Mais<br />

el<strong>le</strong>s sont d’un tempérament tota<strong>le</strong>ment différent. Otsū a de la<br />

grâce <strong>et</strong> du raffinement, mais quelque chose de froid. Akemi,<br />

qu’el<strong>le</strong> rie, p<strong>le</strong>ure ou boude, reste séduisante. »<br />

Les sentiments juvéni<strong>le</strong>s que <strong>le</strong> puissant rayonnement du<br />

charme d’Akemi avait suscités dans <strong>le</strong>s cellu<strong>le</strong>s desséchées de<br />

Tanzaemon ne <strong>le</strong> rendaient que trop conscient de son âge.<br />

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