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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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n’avait connu que sa vie au village <strong>et</strong> une seu<strong>le</strong> batail<strong>le</strong>. Tandis<br />

qu’il s’étonnait de sa situation, une idée soudaine lui fit repasser<br />

précipitamment la porte de la cuisine.<br />

« J’ai besoin d’argent, se disait-il. Je ne peux me passer<br />

d’argent. »<br />

Il alla droit à la chambre d’Okō ; il fouilla ses cartons de<br />

toil<strong>et</strong>te, sa coiffeuse, sa commode, tous <strong>le</strong>s endroits possib<strong>le</strong>s. Il<br />

eut beau m<strong>et</strong>tre la chambre à sac, il ne trouva pas un sou. Bien<br />

sûr, il aurait dû savoir qu’Okō n’était pas femme à prendre un<br />

pareil risque.<br />

Déçu, Matahachi se laissa tomber sur <strong>le</strong>s vêtements restés<br />

par terre. Le parfum d’Okō s’exhalait comme une épaisse brume<br />

de son sous-vêtement de soie rouge, de son obi de Nishijin <strong>et</strong> de<br />

son kimono teint à Momoyama. A l’heure qu’il était, se disait-il,<br />

el<strong>le</strong> se trouvait au théâtre en p<strong>le</strong>in air du bord de la rivière, à<br />

regarder <strong>le</strong>s danses Kabuki avec Tōji à son côté. Il revit en<br />

pensée sa peau blanche <strong>et</strong> son visage d’une coqu<strong>et</strong>terie<br />

provocante.<br />

— Sa<strong>le</strong> catin ! cria-t-il.<br />

Des pensées amères, meurtrières, montèrent des<br />

profondeurs de son être.<br />

Puis, de manière inattendue, il se souvint douloureusement<br />

d’Otsū. A mesure que <strong>le</strong>s jours <strong>et</strong> <strong>le</strong>s mois de <strong>le</strong>ur séparation<br />

s’additionnaient, il avait enfin compris la pur<strong>et</strong>é, la dévotion de<br />

c<strong>et</strong>te jeune fil<strong>le</strong> qui avait promis de l’attendre. Il se fût<br />

volontiers prosterné devant el<strong>le</strong>, il eût volontiers <strong>le</strong>vé vers el<strong>le</strong><br />

des mains suppliantes, s’il avait cru qu’el<strong>le</strong> lui pardonnerait<br />

jamais. Mais il avait rompu avec Otsū, il l’avait abandonnée de<br />

tel<strong>le</strong> sorte qu’il serait impossib<strong>le</strong> de la regarder à nouveau en<br />

face.<br />

« Tout cela, à cause de c<strong>et</strong>te femme », se disait-il avec<br />

tristesse. Maintenant qu’il était trop tard, tout s’éclairait à ses<br />

yeux ; jamais il n’aurait dû révé<strong>le</strong>r à Okō l’existence d’Otsū. En<br />

entendant par<strong>le</strong>r pour la première fois de la jeune fil<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> avait<br />

eu un léger sourire <strong>et</strong> prétendu que cela lui était complètement<br />

égal, alors qu’en réalité el<strong>le</strong> se trouvait consumée de jalousie.<br />

Ensuite, à chacune de <strong>le</strong>urs querel<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong> rem<strong>et</strong>tait la question<br />

sur <strong>le</strong> tapis, <strong>et</strong> insistait pour qu’il écrivît une l<strong>et</strong>tre rompant ses<br />

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