14.12.2018 Views

La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

— Des samouraïs, haha ! dit Takezō. Quel<strong>le</strong> blague ! <strong>La</strong> tête<br />

d’un général ! Je n’ai pas même approché de samouraï ennemi ;<br />

ne parlons pas de général. Du moins, tout ça, c’est fini. Et<br />

maintenant, qu’allons-nous faire ? Je ne peux te laisser ici tout<br />

seul. Si je <strong>le</strong> faisais, je ne pourrais plus jamais regarder à<br />

nouveau ta mère ou Otsū en face.<br />

— Takezō, je ne te rends pas responsab<strong>le</strong> du gâchis où nous<br />

sommes. Ce n’est pas de ta faute si nous avons perdu. S’il y a<br />

quelqu’un à blâmer, c’est ce faux j<strong>et</strong>on de Kobayakawa. Ça me<br />

ferait vraiment plaisir de <strong>le</strong> tenir. Je <strong>le</strong> tuerais, ce salaud !<br />

Deux heures plus tard, ils se tenaient au bord d’une p<strong>et</strong>ite<br />

plaine, à contemp<strong>le</strong>r un océan de miscanthus pareils à des<br />

roseaux malmenés <strong>et</strong> brisés par la tempête. Point de maisons.<br />

Point de lumières.<br />

Ici aussi, il y avait des quantités de cadavres, qui gisaient<br />

dans la position même où ils étaient tombés. <strong>La</strong> tête de l’un<br />

d’eux reposait dans <strong>le</strong>s hautes herbes. Un autre était à la<br />

renverse dans un ruisseau. Un autre encore formait un<br />

enchevêtrement grotesque avec un cheval mort. <strong>La</strong> pluie avait<br />

lavé <strong>le</strong> sang, <strong>et</strong> dans <strong>le</strong> clair de lune la chair morte avait l’aspect<br />

d’écail<strong>le</strong>s de poisson. Tout autour d’eux, c’était la solitaire<br />

litanie automna<strong>le</strong> des grillons.<br />

Un flot de larmes laissa des traînées blanches <strong>le</strong> long des<br />

joues sa<strong>le</strong>s de Matahachi. Il poussa <strong>le</strong> soupir d’un homme très<br />

malade.<br />

— Takezō, si je meurs, prendras-tu soin d’Otsū ?<br />

— Qu’est-ce que tu me chantes là ?<br />

— Il me semb<strong>le</strong> que je suis en train de mourir.<br />

Takezō se rebiffa :<br />

— Eh bien, si tu <strong>le</strong> crois, il est probab<strong>le</strong> que tu mourras.<br />

Il était exaspéré : il souhaitait que son ami eût plus de force,<br />

de manière à pouvoir se reposer sur lui de temps à autre, non<br />

point physiquement, mais pour qu’il l’encourageât.<br />

— ... Allons, Matahachi ! Arrête de p<strong>le</strong>urnicher.<br />

— Ma mère a des gens pour s’occuper d’el<strong>le</strong>, mais Otsū est<br />

absolument seu<strong>le</strong> au monde. El<strong>le</strong> l’a toujours été. J’ai tant de<br />

chagrin pour el<strong>le</strong>, Takezō ! Prom<strong>et</strong>s-moi de prendre soin d’el<strong>le</strong><br />

si je viens à disparaître.<br />

17

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!