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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— Eh... Ah !...<br />

— Quand j’y repense, ça me rend si furieuse !<br />

El<strong>le</strong> abaissa <strong>le</strong> visage sur la rambarde.<br />

— ... Vois-tu, j’ai honte de te demander de m’aimer. Je n’en<br />

ai pas <strong>le</strong> droit. Mais... mais... je suis encore vierge de cœur. Je<br />

chéris encore mon premier amour comme une per<strong>le</strong>. Je n’ai<br />

point perdu ce trésor <strong>et</strong> je ne <strong>le</strong> perdrai pas quel que soit <strong>le</strong><br />

genre de vie que je mène, quels que soient <strong>le</strong>s hommes dans <strong>le</strong>s<br />

bras desquels on me j<strong>et</strong>tera !<br />

Ses sanglots faisaient tremb<strong>le</strong>r chaque cheveu de sa tête.<br />

Sous <strong>le</strong> pont d’où tombaient ses larmes, la rivière, scintillant<br />

dans <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il du Nouvel An, coulait comme <strong>le</strong>s songes d’Akemi<br />

vers une éternité d’espérance.<br />

— Euh...<br />

Alors que <strong>le</strong> pathétique de c<strong>et</strong>te histoire provoquait des<br />

hochements de tête <strong>et</strong> des grognements fréquents, <strong>le</strong>s yeux de<br />

Musashi restaient fixés sur <strong>le</strong> même point éloigné. Son père<br />

avait un jour déclaré : « Tu ne me ressemb<strong>le</strong>s pas. J’ai <strong>le</strong>s yeux<br />

noirs, mais <strong>le</strong>s tiens sont brun foncé. Il paraît que ton grandonc<strong>le</strong>,<br />

Hirata Shōgen, avait de terrifiants yeux bruns ; tu tiens<br />

donc peut-être de lui. » En c<strong>et</strong> instant, dans <strong>le</strong>s rayons obliques<br />

du so<strong>le</strong>il, <strong>le</strong>s yeux de Musashi étaient de corail pur <strong>et</strong> sans<br />

défaut.<br />

« Ça ne peut être que lui », se disait Sasaki Kojirō, l’homme<br />

appuyé contre <strong>le</strong> sau<strong>le</strong>. Il avait maintes fois entendu par<strong>le</strong>r de<br />

Musashi, mais <strong>le</strong> voyait pour la première fois.<br />

Musashi se demandait : « Qui cela peut-il bien être ? »<br />

Depuis l’instant où <strong>le</strong>urs yeux s’étaient rencontrés, chacun<br />

s’était mis à sonder en si<strong>le</strong>nce <strong>le</strong>s profondeurs de l’autre. Dans<br />

la pratique de l’Art de la guerre, on dit qu’il faut discerner<br />

d’après la pointe du <strong>sabre</strong> de l’ennemi l’étendue de ses<br />

capacités. Les deux hommes ne faisaient pas autre chose. Ils<br />

ressemblaient à des lutteurs qui se jaugent avant d’en venir aux<br />

prises. Et chacun avait des raisons de considérer l’autre avec<br />

suspicion.<br />

« Voilà qui me déplaît », songeait Kojirō, tout bouillonnant<br />

de contrariété. Il avait pris soin d’Akemi depuis qu’il l’avait tirée<br />

du château d’Amida désert ; or, c<strong>et</strong>te conversation<br />

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