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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Le souvenir de Genjirō ne l’en troublait pas moins<br />

profondément, suscitant doute, chagrin <strong>et</strong> souffrance. <strong>La</strong><br />

cruauté de son acte était horrib<strong>le</strong>, même à ses yeux.<br />

« Devrais-je envoyer promener mon <strong>sabre</strong> <strong>et</strong> vivre comme<br />

tout <strong>le</strong> monde ? » se demandait-il ; <strong>et</strong> ce n’était pas la première<br />

fois. Dans <strong>le</strong> ciel clair du début de soirée, <strong>le</strong>s péta<strong>le</strong>s blancs des<br />

f<strong>le</strong>urs de cerisier tombaient au hasard, comme des flocons de<br />

neige, laissant <strong>le</strong>s arbres aussi vulnérab<strong>le</strong>s d’aspect qu’il se<br />

sentait maintenant, vulnérab<strong>le</strong> au doute sur la question de<br />

savoir s’il ne devait pas changer son mode de vie. « Si je renonce<br />

au <strong>sabre</strong>, je pourrai vivre avec Otsū », se disait-il. Mais alors, il<br />

se remémora la vie des bourgeois de Kyoto, <strong>et</strong> <strong>le</strong> monde habité<br />

par Kō<strong>et</strong>su <strong>et</strong> Shōyū.<br />

« Ce n’est point pour moi », se dit-il avec détermination.<br />

Il franchit <strong>le</strong> portail <strong>et</strong> rentra dans sa chambre. Assis près de<br />

la lampe, il reprit son ouvrage à demi terminé, <strong>et</strong> se mit à<br />

sculpter rapidement. Il était d’une importance capita<strong>le</strong><br />

d’achever la statue. Habi<strong>le</strong> ou non, il tenait absolument à laisser<br />

là quelque chose qui pût apaiser l’âme défunte de Genjirō.<br />

<strong>La</strong> lampe baissait ; il arrangea la mèche. Dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce de<br />

mort du soir, on entendait tomber sur <strong>le</strong> tatami <strong>le</strong>s copeaux<br />

minuscu<strong>le</strong>s. <strong>La</strong> concentration du jeune homme était absolue ;<br />

tout son être se rassemblait avec une intensité parfaite sur <strong>le</strong><br />

point de contact avec <strong>le</strong> bois. Une fois qu’il s’était fixé une tâche,<br />

il était dans sa nature de s’y perdre jusqu’à ce qu’el<strong>le</strong> fût<br />

accomplie, sans tenir compte de l’ennui ou de la fatigue.<br />

Les accents du sûtra montaient <strong>et</strong> descendaient.<br />

Après chaque éméchage de la lampe, il reprenait sa tâche<br />

avec un air de dévotion <strong>et</strong> de révérence, pareil aux anciens<br />

sculpteurs qui, dit-on, s’inclinaient trois fois devant <strong>le</strong> Bouddha<br />

avant de prendre <strong>le</strong>ur ciseau pour sculpter une image. Sa propre<br />

statue de Kannon serait comme une prière pour la félicité de<br />

Genjirō dans l’autre monde.<br />

Enfin, il murmura : « Je crois que ça ira. » Comme il se<br />

<strong>le</strong>vait pour examiner la statue, la cloche de la pagode de l’est<br />

sonna la seconde veil<strong>le</strong> nocturne, qui débutait à dix heures. « Il<br />

se fait tard », se dit-il ; <strong>et</strong> il sortit aussitôt pour présenter ses<br />

respects au grand-prêtre <strong>et</strong> lui demander de garder la statue.<br />

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