14.12.2018 Views

La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Ses épau<strong>le</strong>s saillantes, ses côtes maigres tremblaient. El<strong>le</strong> se<br />

tint là quelques instants à reprendre souff<strong>le</strong>. Sans dissimu<strong>le</strong>r<br />

une expression résignée, Musashi dit avec toute la désinvolture<br />

qu’il put :<br />

— Ma paro<strong>le</strong>, mais c’est la douairière Hon’iden ! Que faitesvous<br />

ici ?<br />

— Inso<strong>le</strong>nt ! Pourquoi ne serais-je pas ici ? C’est moi qui<br />

devrais te demander cela. Je t’ai laissé m’échapper sur la colline<br />

de Sannen, mais aujourd’hui j’aurai ta tête !<br />

Son cou décharné évoquait celui d’un coq de combat, <strong>et</strong> sa<br />

voix stridente, qui paraissait pousser hors de sa bouche ses<br />

dents saillantes, effrayait Musashi plus qu’un cri de guerre.<br />

<strong>La</strong> peur que lui inspirait la vieil<strong>le</strong> femme avait ses racines<br />

dans des souvenirs d’enfance, à l’époque où Osugi <strong>le</strong>s avait<br />

surpris, lui <strong>et</strong> Matahachi, en train de se livrer à quelque méfait<br />

dans <strong>le</strong> carré aux mûriers de la cuisine des Hon’iden. Il avait<br />

huit ou neuf ans – l’âge même où <strong>le</strong>s deux chenapans faisaient<br />

sans arrêt des tours pendab<strong>le</strong>s –, <strong>et</strong> il se rappelait encore<br />

n<strong>et</strong>tement comme Osugi <strong>le</strong>ur avait crié dessus. Il avait pris la<br />

fuite, épouvanté, <strong>le</strong> cœur battant à grands coups, <strong>et</strong> de tels<br />

souvenirs lui donnaient <strong>le</strong> frisson. A l’époque, il considérait<br />

Osugi comme une vieil<strong>le</strong> sorcière détestab<strong>le</strong> <strong>et</strong> querel<strong>le</strong>use ;<br />

encore maintenant, il lui en voulait de l’avoir trahi lors de son<br />

r<strong>et</strong>our au village, après Sekigahara. Bizarrement, il en était aussi<br />

venu à la considérer comme un être dont il ne pourrait jamais<br />

avoir raison. Néanmoins, <strong>le</strong> temps avait adouci <strong>le</strong>s sentiments<br />

qu’il lui portait.<br />

Chez Osugi, c’était tout <strong>le</strong> contraire. El<strong>le</strong> ne pouvait se<br />

débarrasser de l’image de Takezō, l’odieux moutard indiscipliné<br />

qu’el<strong>le</strong> avait connu, <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it morveux aux bobos sur <strong>le</strong> crâne, aux<br />

jambes <strong>et</strong> aux bras si longs qu’il en paraissait difforme. Non<br />

qu’el<strong>le</strong> fût inconsciente de l’écou<strong>le</strong>ment du temps. Maintenant,<br />

el<strong>le</strong> était vieil<strong>le</strong> ; el<strong>le</strong> <strong>le</strong> savait. Et Musashi était un adulte. Mais<br />

el<strong>le</strong> ne pouvait s’empêcher de <strong>le</strong> traiter comme un sa<strong>le</strong> gosse. En<br />

songeant à la honte que ce p<strong>et</strong>it garçon lui avait infligée, el<strong>le</strong><br />

criait vengeance. Il ne s’agissait pas seu<strong>le</strong>ment de se venger aux<br />

yeux du village. El<strong>le</strong> voulait voir Musashi dans sa tombe avant<br />

de descendre dans la sienne.<br />

561

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!