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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— ... Assez : voilà que je m’apitoie à nouveau sur moi-même.<br />

<strong>La</strong> lune est <strong>le</strong>vée ; je vais me promener dans <strong>le</strong> champ... chasser<br />

ces vieux griefs, ces vieux fantômes.<br />

Le prêtre ramassa son shakuhachi, <strong>et</strong> sortit fébri<strong>le</strong>ment de<br />

la maison en traînant <strong>le</strong>s pieds. Matahachi crut apercevoir une<br />

ombre de moustache sous <strong>le</strong> nez émacié. « Quel être bizarre ! se<br />

dit-il. Il n’est pas vraiment vieux, <strong>et</strong> pourtant comme il est peu<br />

solide sur ses jambes ! » Soupçonnant l’homme d’être un peu<br />

fou, il éprouvait pour lui une certaine pitié.<br />

Attisées par la brise du soir, <strong>le</strong>s flammes du p<strong>et</strong>it bois<br />

commençaient de roussir <strong>le</strong> plancher. En pénétrant dans la<br />

pièce vide, Matahachi trouva une cruche d’eau ; il en versa sur <strong>le</strong><br />

feu tout en songeant que ce prêtre était bien négligent.<br />

Cela n’aurait guère d’importance que c<strong>et</strong>te vieil<strong>le</strong> maison<br />

abandonnée fût réduite en cendres ; mais si à la place il<br />

s’agissait d’un ancien temp<strong>le</strong> de la période Asuka ou<br />

Kamakura ? Matahachi eut un vio<strong>le</strong>nt mouvement<br />

d’indignation. « C’est à cause de gens pareils que <strong>le</strong>s anciens<br />

temp<strong>le</strong>s de Nara <strong>et</strong> du mont Kōya sont si souvent détruits,<br />

pensait-il. Ces fous de prêtres vagabonds n’ont ni biens ni<br />

famil<strong>le</strong>. Ils ne songent pas au risque d’incendie. Ils allument un<br />

feu dans la grande sal<strong>le</strong> d’un vieux monastère, tout à côté des<br />

tentures mura<strong>le</strong>s, à seu<strong>le</strong> fin de réchauffer <strong>le</strong>ur propre carcasse<br />

qui n’a d’utilité pour personne. »<br />

— Tiens, voilà quelque chose d’intéressant, murmura-t-il en<br />

tournant <strong>le</strong>s yeux vers l’alcôve. Ce n’étaient ni <strong>le</strong>s proportions<br />

gracieuses de la pièce, ni <strong>le</strong>s vestiges d’un vase précieux qui<br />

avaient attiré son attention, mais un pot de métal noirci, flanqué<br />

d’une jarre de saké au col ébréché. Le pot contenait du gruau de<br />

riz, <strong>et</strong> quand Matahachi secoua la jarre el<strong>le</strong> émit un joyeux<br />

glouglou. Il eut un large sourire <strong>et</strong> se félicita de sa chance,<br />

oublieux, comme tout homme affamé, des droits de propriété<br />

d’autrui.<br />

A longs traits, il vint rapidement à bout du saké, <strong>et</strong> vida <strong>le</strong><br />

pot de riz, ravi de s’être bien rempli la panse.<br />

Tandis qu’il somnolait auprès du feu, il entendait <strong>le</strong><br />

bourdonnement pareil à la pluie d’insectes venus du champ<br />

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