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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— Tu es fou ! répliquait Takezō exaspéré. Tu vas nous faire<br />

tuer, ou tout au moins ramasser. Nous sommes des vaincus, des<br />

fuyards – ne peux-tu donc te m<strong>et</strong>tre ça dans la tête ? Nous<br />

devons prendre garde <strong>et</strong> nous faire tout p<strong>et</strong>its jusqu’à ce que <strong>le</strong>s<br />

choses se calment.<br />

Mais il ne tarda pas à se lasser de raisonner son ami épris de<br />

plaisir, <strong>et</strong>, à la place, commença de lui répondre avec<br />

sécheresse : « Je n’aime pas <strong>le</strong> saké », ou d’autres fois : « Je me<br />

plais bien au bûcher. C’est confortab<strong>le</strong>. »<br />

Takezō, lui aussi, commençait à s’énerver. Il s’ennuyait à<br />

périr, <strong>et</strong> finit par montrer des signes de faib<strong>le</strong>sse :<br />

— Est-ce que vraiment on ne risque rien ? demandait-il. Je<br />

veux dire : dans <strong>le</strong>s parages ? Aucune trace de patrouil<strong>le</strong>s ? Tu<br />

es bien sûr ?<br />

Après avoir été enterré vingt jours dans <strong>le</strong> bûcher, il finit<br />

par en sortir pareil à un prisonnier de guerre à moitié mort de<br />

faim. Sa peau avait l’aspect translucide <strong>et</strong> cireux de la mort,<br />

d’autant plus visib<strong>le</strong> par contraste avec son ami rougi par <strong>le</strong><br />

so<strong>le</strong>il <strong>et</strong> <strong>le</strong> saké. Il <strong>le</strong>va des yeux clignotants vers la clarté du ciel<br />

b<strong>le</strong>u, <strong>et</strong>, s’étirant largement, bâilla comme un fauve. Lorsqu’il<br />

eut enfin refermé la bouche, on put voir qu’il n’avait cessé de<br />

froncer <strong>le</strong> sourcil. Il semblait soucieux.<br />

— Matahachi, dit-il d’un ton sérieux, nous abusons de<br />

l’hospitalité de ces femmes. El<strong>le</strong>s prennent un gros risque en<br />

nous gardant chez el<strong>le</strong>s. Je crois que nous devrions rentrer chez<br />

nous.<br />

— Je pense que tu as raison, dit Matahachi. Mais on ne<br />

laisse personne traverser <strong>le</strong>s lignes sans contrô<strong>le</strong>. Les routes<br />

d’Ise <strong>et</strong> de Kyoto sont l’une <strong>et</strong> l’autre impraticab<strong>le</strong>s, si l’on en<br />

croit la veuve. El<strong>le</strong> dit que nous ne devrions pas bouger avant <strong>le</strong>s<br />

premières neiges. <strong>La</strong> fil<strong>le</strong> est du même avis. El<strong>le</strong> dit que nous<br />

devrions rester cachés, <strong>et</strong> tu sais qu’el<strong>le</strong> est par monts <strong>et</strong> par<br />

vaux tous <strong>le</strong>s jours.<br />

— Tu appel<strong>le</strong>s se cacher être assis à boire au coin du feu ?<br />

— Bien sûr. Sais-tu ce que j’ai fait ? L’autre jour, des<br />

hommes de Tokugawa – ils continuent à rechercher <strong>le</strong> général<br />

Ukita – sont venus fur<strong>et</strong>er par ici. Je me suis tout simp<strong>le</strong>ment<br />

débarrassé de ces salauds en sortant <strong>le</strong>s saluer.<br />

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