14.12.2018 Views

La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

autant qu’il en pouvait juger, l’homme avait à peine atteint la<br />

trentaine. Son visage osseux, brûlé par <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, était grêlé ; on<br />

eût dit qu’il n’avait pas de menton, mais cela provenait peut-être<br />

de la cicatrice curieusement creusée d’une profonde entail<strong>le</strong> de<br />

<strong>sabre</strong>.<br />

L’apprenti guerrier ne se hâtait pas de fuir. Il ramassa <strong>le</strong>s<br />

fragments déchirés de son carn<strong>et</strong>. Puis il chercha<br />

tranquil<strong>le</strong>ment son chapeau qui s’était envolé dans la bagarre.<br />

L’ayant r<strong>et</strong>rouvé, il s’en coiffa avec soin, ce qui de nouveau<br />

cacha son inquiétant visage. Il s’éloigna de plus en plus vite,<br />

jusqu’à ce qu’il parût porté par <strong>le</strong> vent.<br />

Tout s’était déroulé si rapidement que ni <strong>le</strong>s centaines<br />

d’ouvriers du voisinage, ni <strong>le</strong>urs surveillants n’avaient rien<br />

remarqué. Les uns continuaient de peiner comme des fourmis<br />

tandis que <strong>le</strong>s autres, armés de fou<strong>et</strong>s <strong>et</strong> de matraques,<br />

braillaient des ordres à <strong>le</strong>urs dos en nage.<br />

Mais une paire d’yeux avait tout vu. Debout au somm<strong>et</strong> d’un<br />

haut échafaudage dominant tout <strong>le</strong> chantier se tenait <strong>le</strong><br />

surveillant général des charpentiers <strong>et</strong> scieurs de bois. Voyant<br />

s’échapper l’apprenti guerrier, il rugit un ordre qui mit en<br />

mouvement un groupe de simp<strong>le</strong>s soldats en train de boire du<br />

thé sous l’échafaudage.<br />

— Qu’est-ce qui s’est passé ?<br />

— Encore une bagarre ?<br />

D’autres entendirent l’appel aux armes, <strong>et</strong> bientôt<br />

sou<strong>le</strong>vèrent un nuage de poussière jaune, près de la porte en<br />

bois de la palissade qui séparait du village <strong>le</strong> chantier de<br />

construction. Des cris de colère s’é<strong>le</strong>vaient de la multitude.<br />

— C’est un espion ! Un espion d’Osaka !<br />

— Ils ne comprendront donc jamais !<br />

— A mort ! A mort !<br />

Les ha<strong>le</strong>urs de <strong>pierre</strong>, <strong>le</strong>s transporteurs de terre <strong>et</strong> d’autres,<br />

criant comme si l’« espion » était <strong>le</strong>ur ennemi personnel,<br />

foncèrent sur <strong>le</strong> samouraï sans menton. Il s’élança derrière un<br />

char à bœufs qui passait <strong>le</strong>ntement la porte, <strong>et</strong> tenta de se<br />

glisser au-dehors, mais une sentinel<strong>le</strong> l’aperçut <strong>et</strong> lui fit un crocen-jambe<br />

avec un bâton clouté.<br />

366

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!