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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— C’est bien possib<strong>le</strong>, mais je ne trouve pas cela naturel.<br />

Vraiment, j’aimerais mieux y al<strong>le</strong>r seu<strong>le</strong>.<br />

Dans l’espoir de lui échapper, Otsū se hâta de contourner la<br />

partie arrière du temp<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> se fixa dans <strong>le</strong> dos une hotte, prit<br />

une faucil<strong>le</strong>, <strong>et</strong> se faufila par la porte latéra<strong>le</strong> ; mais quelques<br />

instants plus tard, en se r<strong>et</strong>ournant, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> vit sur ses talons. Il<br />

s’enveloppait maintenant d’une large toi<strong>le</strong> d’emballage, du<br />

genre que l’on utilisait pour transporter sa literie.<br />

— Ceci est-il plus à ton goût ? cria-t-il avec un grand sourire.<br />

— Bien sûr que non. Tu as l’air grotesque. On va te prendre<br />

pour un fou !<br />

— Et pourquoi donc ?<br />

— <strong>La</strong>issons cela. Mais ne marche pas à côté de moi !<br />

— C’est bien la première fois que tu ne veux pas qu’un<br />

homme marche à côté de toi.<br />

— Takuan, tu es parfaitement ignob<strong>le</strong> !<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong> dépassa en courant ; il suivait en faisant des foulées<br />

dignes du Bouddha à sa descente de l’Himalaya. Sa toi<strong>le</strong><br />

d’emballage claquait à la brise.<br />

— Ne te fâche pas, Otsū ! Tu sais bien que je te taquine. En<br />

outre, tes amoureux cesseront de t’aimer si tu boudes trop.<br />

En bas, à huit ou neuf cents mètres du temp<strong>le</strong>, des f<strong>le</strong>urs<br />

printanières s’épanouissaient en abondance sur <strong>le</strong>s deux berges<br />

de la rivière Aida. Otsū déposa sa hotte par terre, <strong>et</strong>, au milieu<br />

d’un océan de papillons voltigeant, commença de manier sa<br />

faucil<strong>le</strong> en larges cerc<strong>le</strong>s, coupant <strong>le</strong>s f<strong>le</strong>urs près de la racine.<br />

Au bout d’un moment, Takuan se fit méditatif.<br />

— Quel calme, ici ! soupira-t-il, d’un ton à la fois religieux <strong>et</strong><br />

puéril. Alors que nous pourrions passer notre vie dans un<br />

paradis p<strong>le</strong>in de f<strong>le</strong>urs, pourquoi préférons-nous tous p<strong>le</strong>urer,<br />

souffrir <strong>et</strong> nous perdre dans un tourbillon de fureur <strong>et</strong> de<br />

passion, nous torturer dans <strong>le</strong>s flammes de l’enfer ? J’espère<br />

que toi, du moins, n’auras pas à passer par tout cela.<br />

Otsū, qui remplissait régulièrement sa hotte de f<strong>le</strong>urs jaunes<br />

de colza, de chrysanthèmes de printemps, de marguerites, de<br />

coquelicots <strong>et</strong> de viol<strong>et</strong>tes, répliqua :<br />

— Takuan, au lieu de prêcher un sermon, tu ferais mieux de<br />

prendre garde aux abeil<strong>le</strong>s.<br />

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