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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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A c<strong>et</strong> instant, l’un de ses camarades de travail se <strong>le</strong>va de<br />

sous <strong>le</strong> bloc de <strong>pierre</strong>, devant lui ; s’accoudant au large somm<strong>et</strong><br />

de la <strong>pierre</strong>, il l’interpella :<br />

— Dis donc, Matahachi ! Qu’est-ce que tu marmonnes là,<br />

entre tes dents ? Mais tu es vert ! Pastèque pourrie ?<br />

Matahachi se força à répondre par un pâ<strong>le</strong> sourire ; mais il<br />

eut un nouvel étourdissement. Des flots de salive lui emplirent<br />

la bouche. Il secoua la tête :<br />

— Ce n’est rien, rien du tout, parvint-il à hoqu<strong>et</strong>er. Un p<strong>et</strong>it<br />

coup de so<strong>le</strong>il, je suppose. <strong>La</strong>issez-moi prendre du bon temps ici<br />

pendant une heure.<br />

Les solides transporteurs de <strong>pierre</strong>s se moquèrent de sa<br />

faib<strong>le</strong>sse, mais sans méchanc<strong>et</strong>é. L’un d’eux lui demanda :<br />

— Pourquoi t’es-tu ach<strong>et</strong>é une pastèque alors que tu es<br />

incapab<strong>le</strong> de la manger ?<br />

— Je l’ai ach<strong>et</strong>ée pour vous, <strong>le</strong>s gars, répondit Matahachi.<br />

J’ai pensé que ça compenserait la part de travail que je ne suis<br />

pas capab<strong>le</strong> de faire.<br />

— Eh ben, voilà qui est chic. Dites donc, <strong>le</strong>s gars ! De la<br />

pastèque ! Tenez, c’est Matahachi qui réga<strong>le</strong>.<br />

Ayant fendu la pastèque à l’ang<strong>le</strong> d’une <strong>pierre</strong>, ils se j<strong>et</strong>èrent<br />

dessus comme des fourmis ; gourmands, ils arrachaient <strong>le</strong>s gros<br />

quartiers juteux de pulpe rouge. Tout avait disparu quelques<br />

instants plus tard, lorsqu’un homme sauta sur un bloc pour<br />

crier :<br />

— Au travail, vous tous !<br />

Le samouraï en chef sortit d’une cabane, fou<strong>et</strong> en main, <strong>et</strong> la<br />

puanteur de la sueur se répandit au-dessus du sol. Bientôt<br />

s’é<strong>le</strong>va un chant de métier tandis qu’avec de gros <strong>le</strong>viers l’on<br />

hissait un gigantesque bloc sur des rou<strong>le</strong>aux pour <strong>le</strong> tirer au<br />

moyen de cordes grosses comme un bras d’homme. Le lourd<br />

bloc avançait comme une montagne mouvante.<br />

Avec la vogue des constructions de châteaux, ces chants<br />

rythmés proliféraient. Il était rare que l’on en couchât par écrit<br />

<strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s ; pourtant, un personnage de l’importance du<br />

seigneur Hachisuka d’Awa, qui dirigeait la construction du<br />

château de Nagoya, en cita dans une l<strong>et</strong>tre plusieurs strophes.<br />

Sa Seigneurie, qui ne dut guère avoir l’occasion de toucher à des<br />

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