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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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adulte, <strong>et</strong> il lui arrivait de faire un mouvement rapide qui vous<br />

m<strong>et</strong>tait sur vos gardes. Mais quand <strong>le</strong>s larmes se mirent à cou<strong>le</strong>r<br />

de ses longs cils, la pitié fit soudain fondre Takezō. Il eut envie<br />

de la prendre dans ses bras, de la protéger.<br />

C<strong>et</strong>te fil<strong>le</strong>, pourtant, n’avait nul<strong>le</strong>ment bénéficié d’une<br />

bonne éducation. Qu’il n’y eût point de métier plus nob<strong>le</strong> que<br />

celui de son père, jamais el<strong>le</strong> ne paraissait en douter. Sa mère<br />

l’avait persuadée qu’il était parfaitement légitime de dépouil<strong>le</strong>r<br />

des cadavres, non pour vivre tout court, mais pour vivre<br />

agréab<strong>le</strong>ment. Maints vo<strong>le</strong>urs fieffés eussent reculé devant<br />

pareil<strong>le</strong> tâche.<br />

Au cours des longues années de luttes féoda<strong>le</strong>s, on en était<br />

arrivé au point où tous <strong>le</strong>s bons à rien des campagnes vivaient<br />

de ce trafic. On en était plus ou moins venu à trouver cela<br />

naturel. Quand la guerre éclatait, <strong>le</strong>s chefs militaires locaux<br />

recouraient même à eux, <strong>le</strong>s récompensant généreusement pour<br />

incendier <strong>le</strong>s provisions de l’ennemi, répandre de fausses<br />

rumeurs, vo<strong>le</strong>r des chevaux dans <strong>le</strong>s camps adverses, <strong>et</strong> ainsi de<br />

suite. Le plus souvent, ces services étaient rétribués ; pourtant,<br />

même quand ce n’était pas <strong>le</strong> cas, la guerre offrait une fou<strong>le</strong><br />

d’occasions ; outre la fouil<strong>le</strong> des cadavres en quête d’obj<strong>et</strong>s de<br />

va<strong>le</strong>ur, ils pouvaient parfois même resquil<strong>le</strong>r des récompenses<br />

pour avoir tué des samouraïs trouvés par hasard <strong>et</strong> dont ils<br />

s’étaient bornés à ramasser la tête. Une seu<strong>le</strong> grande batail<strong>le</strong><br />

perm<strong>et</strong>tait à ces chapardeurs sans scrupu<strong>le</strong>s de vivre<br />

confortab<strong>le</strong>ment durant six mois ou un an.<br />

Aux époques <strong>le</strong>s plus troublées, même <strong>le</strong> fermier <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />

bûcheron ordinaires avaient appris à profiter de la misère<br />

humaine <strong>et</strong> de l’effusion de sang. <strong>La</strong> batail<strong>le</strong> aux abords de <strong>le</strong>ur<br />

village avait beau empêcher ces âmes simp<strong>le</strong>s de travail<strong>le</strong>r, ils<br />

s’étaient ingénieusement adaptés à la situation, <strong>et</strong> avaient<br />

découvert <strong>le</strong> moyen de vivre, comme <strong>le</strong>s vautours, des vestiges<br />

de la vie humaine. En partie à cause de ces intrus, <strong>le</strong>s pillards<br />

professionnels maintenaient sur <strong>le</strong>urs territoires personnels une<br />

stricte surveillance. C’était une règ<strong>le</strong> absolue que <strong>le</strong>s<br />

braconniers – c’est-à-dire <strong>le</strong>s brigands qui empiétaient sur <strong>le</strong><br />

domaine des brigands plus puissants – ne pouvaient rester<br />

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