14.12.2018 Views

La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

— Ils sont bien trop grossiers...<br />

— Mère, n’est-ce pas la musique du Kabuki ? J’entends des<br />

cloch<strong>et</strong>tes. Et une flûte.<br />

— Ecoutez-moi c<strong>et</strong>te enfant ! Toujours la même. El<strong>le</strong> se croit<br />

déjà au théâtre !<br />

— Pourtant, je l’entends, mère.<br />

— Suffit. Porte donc <strong>le</strong> chapeau du Jeune Maître.<br />

Les pas <strong>et</strong> <strong>le</strong>s voix s’éloignaient en direction du Yomogi.<br />

Matahachi, <strong>le</strong>s yeux encore injectés de fureur, épiait par la<br />

fenêtre <strong>le</strong> joyeux quatuor. Il trouva c<strong>et</strong>te vision si humiliante<br />

qu’il se laissa r<strong>et</strong>omber sur <strong>le</strong> tatami de la chambre obscure en<br />

se maudissant.<br />

« Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu n’as donc plus de fierté ?<br />

Comment peux-tu laisser <strong>le</strong>s choses continuer comme ça ?<br />

Espèce d’idiot ! Fais donc quelque chose ! » Ce discours<br />

s’adressait à lui-même, sa colère envers Okō se trouvant<br />

éclipsée par son indignation devant sa propre couardise <strong>et</strong> sa<br />

propre faib<strong>le</strong>sse.<br />

« El<strong>le</strong> a dit : va-t’en. Eh bien, va-t’en ! raisonnait-il. A quoi<br />

bon traîner ici à grincer des dents ? Tu n’as que vingt-deux ans.<br />

Tu es encore jeune. Va-t’en, <strong>et</strong> débrouil<strong>le</strong>-toi seul. »<br />

Il avait <strong>le</strong> sentiment qu’il ne pouvait rester une minute de<br />

plus dans c<strong>et</strong>te maison vide <strong>et</strong> si<strong>le</strong>ncieuse ; pourtant, il ne savait<br />

pourquoi, il était incapab<strong>le</strong> de s’en al<strong>le</strong>r. Sa tête confuse lui<br />

faisait mal. Il constatait qu’à mener c<strong>et</strong>te vie depuis quelques<br />

années, il avait perdu la faculté de penser clairement. Comment<br />

avait-il supporté cela ? Sa femme passait ses soirées à recevoir<br />

d’autres hommes, à <strong>le</strong>ur vendre <strong>le</strong>s charmes qu’el<strong>le</strong> lui avait<br />

prodigués autrefois. <strong>La</strong> nuit, il ne pouvait dormir, <strong>et</strong> dans la<br />

journée il était trop abattu pour sortir. A broyer du noir ici, dans<br />

c<strong>et</strong>te chambre sombre, il n’y avait rien d’autre à faire que de<br />

boire.<br />

Et tout cela, se disait-il, pour c<strong>et</strong>te putain vieillissante !<br />

Il se dégoûtait. Il savait que l’unique moyen de sortir de son<br />

enfer était d’envoyer promener toute c<strong>et</strong>te sa<strong>le</strong> histoire, <strong>et</strong> d’en<br />

revenir aux aspirations de sa jeunesse. Il devait r<strong>et</strong>rouver <strong>le</strong><br />

sentier perdu.<br />

Et pourtant... <strong>et</strong> pourtant...<br />

191

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!