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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— Oh ! rien, répondit l’enfant avec tristesse, en se mordant<br />

l’index. Quand c<strong>et</strong>te jeune fil<strong>le</strong> a dit « maître », j’ai cru un<br />

instant qu’el<strong>le</strong> parlait de mon maître.<br />

Otsū, el<strong>le</strong> aussi, se sentit soudain triste <strong>et</strong> un peu agacée.<br />

Bien que Jōtarō eût dit cela en toute innocence, quel besoin<br />

avait-il de par<strong>le</strong>r de Musashi ? Malgré <strong>le</strong> conseil de Takuan,<br />

impossib<strong>le</strong> pour el<strong>le</strong> d’expulser de son cœur son désir de<br />

Musashi. Chez Takuan, quel<strong>le</strong> insensibilité ! Dans un sens, Otsū<br />

<strong>le</strong> prenait en pitié, lui <strong>et</strong> son apparente ignorance de la<br />

signification de l’amour.<br />

L’amour était comme <strong>le</strong> mal de dents. Lorsque Otsū se<br />

trouvait occupée, il ne la troublait pas ; mais quand <strong>le</strong> souvenir<br />

s’emparait d’el<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> était prise de l’urgent besoin de repartir<br />

sur <strong>le</strong>s routes, de chercher Musashi, de <strong>le</strong> trouver, de poser la<br />

main sur sa poitrine en versant des larmes de félicité.<br />

Si<strong>le</strong>ncieuse, el<strong>le</strong> se remit en marche. Où donc était<br />

Musashi ? De tous <strong>le</strong>s chagrins qui assail<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s êtres humains,<br />

<strong>le</strong> plus minant, <strong>le</strong> plus pitoyab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> plus torturant, c’était de ne<br />

pouvoir poser <strong>le</strong>s yeux sur l’être après qui l’on soupirait. Les<br />

joues ruisselantes de larmes, el<strong>le</strong> poursuivait sa route.<br />

Les pesants <strong>sabre</strong>s aux ferrures usées ne signifiaient rien<br />

pour el<strong>le</strong>. Comment eût-el<strong>le</strong> imaginé qu’el<strong>le</strong> portait là <strong>le</strong>s<br />

affaires de Musashi en personne ?<br />

Jōtarō, sentant qu’il avait fait quelque chose de mal, suivait<br />

tristement à peu de distance. Puis, comme Otsū s’engageait sous<br />

<strong>le</strong> portail de la maison Arakida, il la rejoignit en courant pour lui<br />

demander :<br />

— ... Vous êtes fâchée ? De ce que j’ai dit ?<br />

— Oh ! non, ce n’est rien.<br />

— Je regr<strong>et</strong>te, Otsū. Je regr<strong>et</strong>te vraiment.<br />

— Ce n’est pas ta faute. Je me sens seu<strong>le</strong>ment un peu triste.<br />

Mais ne t’en inquiète pas. Je vais voir ce que me veut maître<br />

Arakida. Toi, r<strong>et</strong>ourne à ton travail.<br />

Arakida Ujitomi appelait sa demeure la Maison de l’Etude.<br />

Il l’avait transformée en partie en une éco<strong>le</strong>, fréquentée non<br />

seu<strong>le</strong>ment par <strong>le</strong>s jeunes fil<strong>le</strong>s du sanctuaire, mais aussi par<br />

quarante ou cinquante autres enfants venus des trois comtés<br />

appartenant au sanctuaire d’Ise. Il essayait de donner aux<br />

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