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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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lui devait pour sa dévotion <strong>et</strong> sa fidélité. Mais <strong>le</strong>s mots ne<br />

venaient pas. Plus il essayait de par<strong>le</strong>r, plus sa langue était liée.<br />

Il contemplait <strong>le</strong> ciel avec impuissance, comme si l’inspiration<br />

pouvait en descendre.<br />

Otsū regardait fixement <strong>le</strong> sol <strong>et</strong> p<strong>le</strong>urait. Son cœur brûlait<br />

d’amour, d’un amour si fort qu’il avait évincé tout <strong>le</strong> reste.<br />

Principes, religion, souci de son propre bien-être, amourpropre<br />

: tout pâlissait auprès de c<strong>et</strong>te unique passion dévorante.<br />

D’une certaine façon, croyait-el<strong>le</strong>, il fallait absolument que c<strong>et</strong><br />

amour vainquît la résistance de Musashi. D’une façon<br />

quelconque, grâce à ses larmes, il fallait trouver pour eux deux<br />

un moyen de vivre ensemb<strong>le</strong>, en dehors du monde des gens<br />

ordinaires. Pourtant, maintenant qu’el<strong>le</strong> était avec lui, el<strong>le</strong> était<br />

sans recours. El<strong>le</strong> ne pouvait se résoudre à décrire la dou<strong>le</strong>ur<br />

d’être loin de lui, la misère de cheminer seu<strong>le</strong> à travers la vie, la<br />

torture que lui infligeait sa froideur. Si seu<strong>le</strong>ment el<strong>le</strong> avait une<br />

mère à laquel<strong>le</strong> confier tous ses chagrins...<br />

Ce long si<strong>le</strong>nce fut rompu par <strong>le</strong>s criail<strong>le</strong>ments d’un<br />

troupeau d’oies. A l’approche de l’aube, el<strong>le</strong>s s’é<strong>le</strong>vèrent audessus<br />

des arbres, <strong>et</strong> s’éloignèrent à tire d’ai<strong>le</strong> par-dessus <strong>le</strong>s<br />

montagnes.<br />

— Ces oies vo<strong>le</strong>nt vers <strong>le</strong> nord, dit Musashi, conscient de<br />

l’incongruité de ses paro<strong>le</strong>s.<br />

— Musashi...<br />

Leurs yeux se rencontrèrent : tous deux se remémoraient <strong>le</strong>s<br />

années au village, quand <strong>le</strong>s oies passaient très haut, chaque<br />

printemps <strong>et</strong> chaque automne.<br />

Tout était si simp<strong>le</strong>, en ce temps-là ! El<strong>le</strong> se trouvait en<br />

termes amicaux avec Matahachi. Musashi lui déplaisait à cause<br />

de sa brutalité ; mais jamais el<strong>le</strong> n’avait craint de lui répondre<br />

quand il lui disait des choses insultantes. Tous deux songeaient<br />

maintenant à la montagne où se dressait <strong>le</strong> Shippōji, <strong>et</strong> aux<br />

berges de la rivière Yoshino, en bas. Et tous deux savaient qu’ils<br />

gaspillaient de précieux instants – des instants qui ne<br />

reviendraient jamais.<br />

— Jōtarō m’a dit que tu étais malade. Très malade ?<br />

— Rien de grave.<br />

— Tu tu sens mieux, maintenant ?<br />

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