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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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surprise ! songeait-il. El<strong>le</strong> sera tel<strong>le</strong>ment heureuse qu’el<strong>le</strong> se<br />

rem<strong>et</strong>tra sans doute à p<strong>le</strong>urer. »<br />

— Jōtarō, demanda Musashi, es-tu entré par la porte de bois<br />

du fond ?<br />

— Je ne sais pas si c’est cel<strong>le</strong> du fond. C’est cel<strong>le</strong>-là, là-bas.<br />

— Vas-y, <strong>et</strong> attends-moi.<br />

— Nous ne partons pas ensemb<strong>le</strong> ?<br />

— Si, mais d’abord, je veux dire au revoir à Yoshino. Je ne<br />

serai pas long.<br />

— Très bien ; je serai près de la porte.<br />

Il éprouvait une certaine anxiété à être abandonné par<br />

Musashi ne fût-ce que quelques instants, mais ce soir-là, il<br />

aurait fait tout ce que son maître lui eût demandé de faire.<br />

L’Ōgiya avait été un havre, agréab<strong>le</strong> mais seu<strong>le</strong>ment<br />

temporaire. Musashi se disait qu’être isolé du monde extérieur<br />

lui avait fait du bien car jusqu’alors, son corps <strong>et</strong> son esprit<br />

avaient ressemblé à de la glace, une épaisse masse glacée,<br />

insensib<strong>le</strong> à la beauté de la lune, indifférente aux f<strong>le</strong>urs, sans<br />

réaction devant <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il. Il ne doutait pas de la rectitude de la<br />

vie ascétique qu’il menait, mais il comprenait maintenant<br />

combien son abnégation de lui-même risquait de <strong>le</strong> rendre<br />

étroit, mesquin, entêté. Des années auparavant, Takuan lui avait<br />

dit que sa force ne différait pas de cel<strong>le</strong> d’une bête sauvage ;<br />

Nikkan l’avait mis en garde contre <strong>le</strong> fait d’être trop fort. Après<br />

son combat avec Denshichirō, son corps <strong>et</strong> son âme avaient été<br />

trop tendus. Ces deux derniers jours, il s’était laissé al<strong>le</strong>r, il avait<br />

permis à son esprit de se déployer. Il avait bu un peu, il s’était<br />

assoupi quand il en avait envie, il avait lu, fait un peu de<br />

peinture, il avait bâillé <strong>et</strong> s’était étiré à loisir. Prendre du repos<br />

avait été d’une immense va<strong>le</strong>ur, <strong>et</strong> il avait décrété qu’il était<br />

important, qu’il continuerait d’être important d’avoir de temps<br />

en temps deux ou trois jours de loisir total.<br />

Debout dans <strong>le</strong> jardin à regarder <strong>le</strong>s lumières <strong>et</strong> <strong>le</strong>s ombres<br />

des salons de la façade, il pensait : « Je dois un mot de<br />

remerciement à Yoshino Dayū pour tout ce qu’el<strong>le</strong> a fait. » Mais<br />

il changea d’avis. Il entendait <strong>le</strong> son des shamisens <strong>et</strong> <strong>le</strong>s chants<br />

éraillés des clients. Il ne voyait aucun moyen de se faufi<strong>le</strong>r à<br />

l’intérieur pour par<strong>le</strong>r à la jeune femme. Mieux valait la<br />

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