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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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souffrance, tout <strong>le</strong> tourment physique, son esprit tendu n’avait<br />

rien perdu de sa vitalité. Il <strong>le</strong>va la tête, <strong>et</strong> d’un regard aigu<br />

contempla <strong>le</strong> néant qui l’entourait.<br />

A travers l’incessante <strong>et</strong> lugubre plainte de la forêt sacrée,<br />

l’oreil<strong>le</strong> de Musashi captait un autre son. Quelque part, non loin,<br />

des flûtes <strong>et</strong> des pipeaux prêtaient <strong>le</strong>ur voix aux accents d’une<br />

musique ancienne, une musique consacrée aux dieux, tandis<br />

que des voix d’enfants éthérées chantaient une invocation.<br />

Attiré par ces paisib<strong>le</strong>s sonorités, Musashi tenta de se <strong>le</strong>ver. En<br />

se mordant <strong>le</strong>s lèvres, il se fit vio<strong>le</strong>nce ; son corps résistait au<br />

moindre mouvement. Il atteignit <strong>le</strong> mur de terre d’un bâtiment<br />

du sanctuaire, s’y agrippa des deux mains, <strong>et</strong> progressa avec une<br />

maladresse de crabe.<br />

<strong>La</strong> cé<strong>le</strong>ste musique provenait d’un bâtiment situé un peu<br />

plus loin, où une lumière brillait à travers <strong>le</strong> treillage d’une<br />

fenêtre. Ce bâtiment, la Maison des Vierges, était occupé par des<br />

jeunes fil<strong>le</strong>s au service de la divinité. Là, el<strong>le</strong>s s’exerçaient à<br />

jouer sur d’anciens instruments de musique, <strong>et</strong> apprenaient à<br />

exécuter des danses sacrées, conçues plusieurs sièc<strong>le</strong>s<br />

auparavant.<br />

Musashi se rendit à la porte de derrière du bâtiment. Il<br />

s’arrêta, regarda à l’intérieur, mais ne vit personne. Soulagé de<br />

ne pas avoir à donner d’explications, il r<strong>et</strong>ira ses <strong>sabre</strong>s <strong>et</strong> son<br />

sac à dos, <strong>le</strong>s attacha ensemb<strong>le</strong>, <strong>et</strong> <strong>le</strong>s suspendit à une patère du<br />

mur intérieur. Ainsi libéré, Il regagna clopin-clopant la rivière<br />

Isuzu.<br />

Environ une heure plus tard, nu comme un ver, il cassait la<br />

glace à la surface <strong>et</strong> plongeait dans <strong>le</strong>s eaux glacées. Il resta là à<br />

s’ébrouer, se baigner, se m<strong>et</strong>tre la tête sous l’eau, se purifier. Par<br />

chance il n’y avait personne dans <strong>le</strong>s parages ; n’importe quel<br />

prêtre qui serait passé l’aurait pris pour un fou, <strong>et</strong> chassé.<br />

D’après une légende d’Ise, un archer du nom de Nikki<br />

Yoshinaga avait, il y a longtemps, attaqué <strong>et</strong> occupé une partie<br />

du territoire du sanctuaire d’Ise. Une fois installé, il péchait<br />

dans la rivière sacrée Isuzu, <strong>et</strong>, à l’aide de faucons, attrapait de<br />

p<strong>et</strong>its oiseaux dans la forêt sacrée. Au cours de ces rapines<br />

sacrilèges, dit la légende, il perdit tota<strong>le</strong>ment la raison, <strong>et</strong><br />

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