14.12.2018 Views

La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Mais il savait bien que cela ne l’enthousiasmait pas. Il<br />

baissait <strong>le</strong>s yeux, <strong>et</strong> ses pieds semblaient s’enfoncer dans <strong>le</strong>s<br />

feuil<strong>le</strong>s mortes. Un p<strong>et</strong>it oiseau qui, en s’envolant, exposait <strong>le</strong><br />

dessous de son corps, lui fit penser à un poisson.<br />

Il se r<strong>et</strong>ourna <strong>et</strong> vit <strong>le</strong>s pins élancés sur la butte où il avait<br />

battu Seijūrō. « Je ne l’ai frappé qu’une fois, songea-t-il. Peutêtre<br />

que je ne l’ai pas tué. » Il examina son <strong>sabre</strong> de bois pour<br />

s’assurer qu’il n’y avait pas de sang dessus.<br />

Ce matin-là, en route pour l’endroit convenu, il s’était<br />

attendu à trouver Seijūrō accompagné d’une fou<strong>le</strong> d’élèves, fort<br />

capab<strong>le</strong>s de recourir à quelque manœuvre sournoise. Il avait<br />

carrément envisagé la possibilité d’être tué lui-même, <strong>et</strong>, pour<br />

éviter de paraître mal tenu à sa dernière heure, s’était<br />

soigneusement brossé <strong>le</strong>s dents avec du sel, <strong>et</strong> lavé <strong>le</strong>s cheveux.<br />

Seijūrō était loin de répondre aux prévisions de Musashi,<br />

qui s’était demandé s’il s’agissait bien là du fils de Yoshioka<br />

Kempō. Il ne trouvait pas chez <strong>le</strong> courtois <strong>et</strong> manifestement bien<br />

é<strong>le</strong>vé Seijūrō <strong>le</strong> plus grand maître du Sty<strong>le</strong> de Kyoto. Il était trop<br />

fin, trop discr<strong>et</strong>, trop aristocrate pour être un grand homme<br />

d’épée.<br />

Une fois <strong>le</strong>s salutations échangées, Musashi se dit avec<br />

embarras : « Je n’aurais jamais dû me lancer dans c<strong>et</strong>te<br />

affaire. »<br />

Ses regr<strong>et</strong>s étaient sincères : il visait toujours à affronter des<br />

adversaires supérieurs à lui. Un regard attentif suffisait ; inuti<strong>le</strong><br />

de s’être entraîné un an pour ce simp<strong>le</strong> combat. Les yeux de<br />

Seijūrō trahissaient un manque de confiance en soi. <strong>La</strong> flamme<br />

nécessaire se trouvait absente non seu<strong>le</strong>ment de son visage,<br />

mais de tout son corps.<br />

« Pourquoi donc est-il venu ici, ce matin, se disait Musashi,<br />

s’il n’a pas plus de foi en lui-même que cela ? » Mais, conscient<br />

de la situation fâcheuse où se trouvait son adversaire, il avait<br />

pitié de lui. Seijūrō n’était pas en position de décommander la<br />

rencontre, l’eût-il voulu. Les discip<strong>le</strong>s qu’il avait hérités de son<br />

père <strong>le</strong> révéraient comme <strong>le</strong>ur mentor <strong>et</strong> <strong>le</strong>ur guide ; il n’avait<br />

d’autre choix que de suivre la filière. Tandis que <strong>le</strong>s deux<br />

hommes se tenaient en garde, Musashi cherchait une excuse<br />

pour annu<strong>le</strong>r toute l’affaire, mais ne la trouvait pas.<br />

601

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!