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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Otsū, <strong>le</strong> cœur palpitant comme celui d’un moineau effrayé,<br />

observait de derrière un bou<strong>le</strong>au <strong>le</strong>s angoisses de son ami. Se<br />

rendant compte du mal qu’el<strong>le</strong> lui avait fait, el<strong>le</strong> brûlait<br />

maintenant d’être de nouveau à son côté ; pourtant, el<strong>le</strong> avait<br />

beau vouloir courir à lui pour implorer son pardon, son propre<br />

corps refusait d’obéir. Pour la première fois, el<strong>le</strong> se rendait<br />

compte que l’amoureux à qui el<strong>le</strong> avait donné son cœur n’était<br />

pas <strong>le</strong> fantasme de vertus masculines qu’el<strong>le</strong> avait imaginé. Le<br />

fait de découvrir la bête nue, la chair, <strong>le</strong> sang <strong>et</strong> <strong>le</strong>s passions, lui<br />

assombrissait <strong>le</strong>s yeux de tristesse <strong>et</strong> de frayeur.<br />

El<strong>le</strong> avait commencé à fuir, mais au bout de vingt pas son<br />

amour la rattrapa <strong>et</strong> la r<strong>et</strong>int. Alors, un peu calmée, el<strong>le</strong> se mit à<br />

imaginer que <strong>le</strong> désir de Musashi était différent de celui des<br />

autres hommes. Plus que toute autre chose au monde, el<strong>le</strong><br />

voulait lui demander pardon, <strong>et</strong> lui assurer qu’el<strong>le</strong> ne lui gardait<br />

pas rancune de ce qu’il avait fait.<br />

« Il est encore fâché, se disait-el<strong>le</strong> avec crainte en<br />

s’apercevant soudain qu’il n’était plus devant ses yeux. Oh ! que<br />

faire ? »<br />

Nerveusement, el<strong>le</strong> r<strong>et</strong>ourna à la p<strong>et</strong>ite hutte, mais il n’y<br />

avait plus qu’une froide brume blanche <strong>et</strong> <strong>le</strong> tonnerre de l’eau<br />

qui semblait secouer <strong>le</strong>s arbres <strong>et</strong> faire tout vibrer autour d’el<strong>le</strong>.<br />

— Otsū ! Il est arrivé quelque chose d’affreux ! Musashi s’est<br />

j<strong>et</strong>é à l’eau !<br />

Ces cris frénétiques de Jōtarō venaient d’un promontoire<br />

dominant <strong>le</strong> bassin, une seconde à peine avant que l’enfant<br />

n’empoignât une glycine <strong>et</strong> ne commençât à descendre, balancé<br />

de branche en branche comme un singe.<br />

Bien qu’el<strong>le</strong> n’eût pas saisi <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s, Otsū<br />

perçut l’urgence de sa voix. El<strong>le</strong> dressa la tête, alarmée, <strong>et</strong> se mit<br />

à déva<strong>le</strong>r la pente abrupte en glissant sur la mousse <strong>et</strong> en se<br />

rattrapant aux rochers.<br />

<strong>La</strong> silhou<strong>et</strong>te à peine visib<strong>le</strong> à travers l’écume <strong>et</strong> la brume<br />

ressemblait à une grosse <strong>pierre</strong>, mais c’était en réalité <strong>le</strong> corps<br />

nu de Musashi. Mains jointes devant lui, tête baissée, il<br />

paraissait un nain à côté des quinze mètres de cascade qui se<br />

déversaient sur lui.<br />

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