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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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même. Ce n’était pas <strong>le</strong> moment de discuter sur ce qui était juste<br />

<strong>et</strong> sur ce qui ne l’était pas.<br />

— Jōtarō !<br />

En entendant appe<strong>le</strong>r son nom, l’enfant tressaillit. Ses yeux<br />

s’écarquillèrent, <strong>et</strong> son corps se raidit. Il se rendit compte que<br />

son visage devait avoir pâli de frayeur ; aussi, pour ne point<br />

paraître puéril, <strong>le</strong>va-t-il bravement <strong>le</strong>s yeux vers <strong>le</strong> ciel. Musashi<br />

fit de même, <strong>et</strong> l’enfant se sentit plus démoralisé que jamais.<br />

Quand Musashi reprit la paro<strong>le</strong>, ce fut du ton enjoué qui lui<br />

était habituel :<br />

— ... Il fait bon, hein, Jō ! On se croirait portés par <strong>le</strong> chant<br />

des rossignols.<br />

— Quoi ? demanda l’enfant, stupéfait.<br />

— J’ai dit : des rossignols.<br />

— Ah ! oui, des rossignols... Il y en a par ici, n’est-ce pas ?<br />

Musashi voyait bien, à la pâ<strong>le</strong>ur des lèvres de l’enfant, qu’il<br />

était abattu. Il avait pitié de lui. Après tout, il risquait de se<br />

r<strong>et</strong>rouver soudain, quelques minutes plus tard, seul dans un lieu<br />

inconnu.<br />

— Nous approchons bien de la colline de Hannya ? dit<br />

Musashi.<br />

— Oui.<br />

— Eh bien, <strong>et</strong> alors ?<br />

Jōtarō ne répondit pas. A ses oreil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> chant des<br />

rossignols semblait lugubre. Il ne pouvait chasser <strong>le</strong><br />

pressentiment qu’ils seraient bientôt séparés pour toujours. Les<br />

yeux qui avaient pétillé d’allégresse lorsqu’il avait fait peur à<br />

Musashi avec <strong>le</strong> masque étaient maintenant inqui<strong>et</strong>s <strong>et</strong> tristes.<br />

— ... Je crois que je ferais mieux de te quitter ici, dit<br />

Musashi. Si tu viens avec moi, tu risques de recevoir un mauvais<br />

coup. Il n’y a aucune raison de te m<strong>et</strong>tre dans la gueu<strong>le</strong> du loup.<br />

Jōtarō s’effondra ; <strong>le</strong>s larmes ruisselaient <strong>le</strong> long de ses<br />

joues comme si une digue s’était rompue. Il s’essuya <strong>le</strong>s yeux du<br />

revers des mains ; ses épau<strong>le</strong>s frémissaient. Ses p<strong>le</strong>urs se<br />

ponctuaient de minuscu<strong>le</strong>s spasmes, comme s’il avait eu <strong>le</strong><br />

hoqu<strong>et</strong>.<br />

— ... Eh bien ! Tu n’apprends donc pas la Voie du<br />

samouraï ? Si je force l’embuscade, tu cours dans la même<br />

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