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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Le papillon en hiver<br />

Akemi se glissa hors de l’auberge de Sumiyoshi sans <strong>le</strong> dire<br />

à personne. El<strong>le</strong> se sentait comme un oiseau libéré de sa cage,<br />

mais n’était pas encore assez remise de sa rencontre avec la<br />

mort pour vo<strong>le</strong>r bien haut. Les cicatrices laissées par <strong>le</strong>s<br />

vio<strong>le</strong>nces de Seijūrō ne guériraient pas de sitôt ; il avait brisé <strong>le</strong><br />

rêve qu’el<strong>le</strong> chérissait : se donner intacte à l’homme qu’el<strong>le</strong><br />

aimait vraiment.<br />

Sur <strong>le</strong> bateau qui remontait l’Yodo vers Kyoto, el<strong>le</strong> avait<br />

l’impression que toute l’eau de la rivière n’éga<strong>le</strong>rait pas <strong>le</strong>s<br />

larmes qu’el<strong>le</strong> eût voulu verser. Tandis que d’autres bateaux,<br />

chargés de décorations <strong>et</strong> de provisions pour <strong>le</strong>s fêtes du Nouvel<br />

An, <strong>le</strong>s dépassaient en faisant force de rames, el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

contemplait en se disant : « Maintenant, même si je trouve<br />

Musashi... » Ses yeux anxieux se remplissaient <strong>et</strong> débordaient<br />

de larmes. Nul ne saurait jamais avec quel<strong>le</strong> impatience el<strong>le</strong><br />

avait attendu <strong>le</strong> matin du Nouvel An où el<strong>le</strong> <strong>le</strong> trouverait au<br />

Grand Pont, avenue Gojō.<br />

Sa passion pour Musashi s’était approfondie <strong>et</strong> renforcée.<br />

Le fil de l’amour s’était allongé, <strong>et</strong> el<strong>le</strong> l’avait enroulé en une<br />

pelote à l’intérieur de sa poitrine. A travers toutes ces années,<br />

el<strong>le</strong> avait continué de <strong>le</strong> fi<strong>le</strong>r à partir de lointains souvenirs, de<br />

on-dit, <strong>et</strong> en avait grossi la pelote de plus en plus. Jusqu’à ces<br />

tout derniers jours, el<strong>le</strong> avait chéri ses sentiments de p<strong>et</strong>ite fil<strong>le</strong>,<br />

<strong>et</strong> <strong>le</strong>s avait portés comme une fraîche f<strong>le</strong>ur sauvage des pentes<br />

du mont Ibuki ; maintenant, la f<strong>le</strong>ur en el<strong>le</strong> était piétinée. Bien<br />

qu’il fût peu vraisemblab<strong>le</strong> que quiconque sût ce qui s’était<br />

passé, el<strong>le</strong> s’imaginait que tout <strong>le</strong> monde la regardait avec des<br />

yeux accusateurs.<br />

A Kyoto, dans la lumière déclinante du soir, Akemi<br />

s’avançait parmi <strong>le</strong>s sau<strong>le</strong>s défeuillés <strong>et</strong> <strong>le</strong>s pagodes en<br />

miniature de Teramachi, près de l’avenue Gojō, l’air aussi glacé,<br />

aussi désolé qu’un papillon en hiver.<br />

— Dis donc, ma bel<strong>le</strong> ! lui lança un homme. Le cordon de<br />

ton obi est détendu. Tu ne veux pas que je te l’attache ?<br />

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