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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— Ne vous inquiétez pas pour moi. Al<strong>le</strong>z-vous coucher.<br />

Quand <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il se lèvera, je m’en irai.<br />

Ces mêmes répliques avaient déjà été échangées bon<br />

nombre de fois, mais sans résultat.<br />

Malgré <strong>le</strong> manque d’usage de Musashi, Yoshino se sentait<br />

attirée par lui. On avait beau dire qu’une femme qui considérait<br />

<strong>le</strong>s hommes comme des hommes, plutôt que comme des sources<br />

de revenus, ne devait pas chercher emploi dans <strong>le</strong>s quartiers de<br />

plaisir, ce n’était là qu’un cliché répété par <strong>le</strong>s patrons de<br />

bordels – des hommes qui ne connaissaient que des prostituées<br />

ordinaires, <strong>et</strong> n’avaient point de contact avec <strong>le</strong>s grandes<br />

courtisanes. Les femmes ayant reçu l’éducation <strong>et</strong> la formation<br />

de Yoshino étaient fort capab<strong>le</strong>s de tomber amoureuses. El<strong>le</strong><br />

n’avait qu’un ou deux ans de plus que Musashi, mais que <strong>le</strong>ur<br />

expérience de l’amour était donc différente ! A <strong>le</strong> regarder assis<br />

là, si raide, réprimant ses émotions, évitant <strong>le</strong> visage de la jeune<br />

femme comme si un regard j<strong>et</strong>é sur el<strong>le</strong> eût risqué de <strong>le</strong> rendre<br />

aveug<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> se sentait de nouveau pareil<strong>le</strong> à une vierge protégée<br />

qui éprouve <strong>le</strong>s premières affres de l’amour.<br />

Les suivantes, ignorantes de la tension psychologique qui<br />

régnait, avaient préparé dans la chambre voisine des couches<br />

dignes du fils <strong>et</strong> de la fil<strong>le</strong> d’un daimyō. Des cloch<strong>et</strong>tes dorées<br />

brillaient doucement aux ang<strong>le</strong>s des oreil<strong>le</strong>rs de satin.<br />

Le son de la neige glissant du toit évoquait <strong>le</strong> bruit fait par<br />

un homme qui saute d’une clôture dans <strong>le</strong> jardin. Chaque fois<br />

qu’il l’entendait, Musashi se hérissait comme un porc-épic. Il<br />

avait l’impression que ses nerfs se prolongeaient jusqu’à<br />

l’extrémité même de ses cheveux.<br />

Yoshino frissonna. C’était <strong>le</strong> moment <strong>le</strong> plus froid de la nuit,<br />

l’heure qui précède immédiatement l’aube ; <strong>et</strong> pourtant, <strong>le</strong><br />

malaise de la jeune femme ne provenait pas du froid. Il<br />

provenait de la vue de c<strong>et</strong> homme féroce.<br />

<strong>La</strong> bouilloire, sur <strong>le</strong> feu, se mit à siff<strong>le</strong>r ; ce son joyeux la<br />

calma. En si<strong>le</strong>nce, el<strong>le</strong> versa du thé.<br />

— Il fera bientôt jour. Venez prendre une tasse de thé <strong>et</strong><br />

vous réchauffer près du feu.<br />

— Merci, répondit Musashi sans bouger.<br />

— C’est prêt, reprit-el<strong>le</strong>, <strong>et</strong> el<strong>le</strong> renonça.<br />

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