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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Se rendant compte qu’il ne s’en tirerait pas en protestant<br />

contre <strong>le</strong>urs flatteries, Musashi résolut de se lancer :<br />

— On sent une chose ou on ne la sent pas, dit-il. En vérité,<br />

cela ne s’explique pas. Si vous vou<strong>le</strong>z que je prouve mon propos,<br />

il faut dégainer, <strong>et</strong> m’affronter en duel. Il n’y a pas d’autre<br />

moyen.<br />

<strong>La</strong> fumée de la lampe s’é<strong>le</strong>vait, noire comme l’encre de la<br />

seiche, dans l’air immobi<strong>le</strong> de la nuit. <strong>La</strong> grenouil<strong>le</strong> se remit à<br />

coasser.<br />

Kizaemon <strong>et</strong> Debuchi, <strong>le</strong>s deux aînés, se regardèrent en<br />

riant. Bien que prononcée d’une voix douce, c<strong>et</strong>te déclaration<br />

sur la mise à l’épreuve de Musashi était indéniab<strong>le</strong>ment un défi,<br />

<strong>et</strong> ils la reconnurent pour tel<strong>le</strong>.<br />

<strong>La</strong>issant passer la chose sans commentaire, ils parlèrent<br />

<strong>sabre</strong>, Zen, événements dans d’autres provinces, batail<strong>le</strong> de<br />

Sekigahara. Kizaemon, Debuchi <strong>et</strong> Kimura avaient tous trois<br />

pris part au sanglant conflit, <strong>et</strong> pour Musashi, qui s’était trouvé<br />

dans <strong>le</strong> camp adverse, <strong>le</strong>urs histoires rendaient <strong>le</strong> son de l’amère<br />

vérité. Ses hôtes paraissaient prendre un plaisir extrême à la<br />

conversation, <strong>et</strong> <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> fait de <strong>le</strong>s écouter fascinait Musashi.<br />

Il n’en était pas moins conscient que <strong>le</strong> temps passait vite : il<br />

savait au fond de lui-même que s’il ne rencontrait pas<br />

Sekishūsai ce soir-là, il ne <strong>le</strong> rencontrerait jamais.<br />

Kizaemon annonça qu’il était temps de servir l’orge mêlée<br />

de riz, <strong>le</strong> dernier plat suivant la coutume, <strong>et</strong> l’on en<strong>le</strong>va <strong>le</strong> saké.<br />

« Comment <strong>le</strong> voir ? » se dit Musashi. Il devenait de plus en<br />

plus clair qu’il risquait d’être obligé de recourir à un stratagème.<br />

Devait-il amener l’un de ses hôtes à perdre patience ? Diffici<strong>le</strong>,<br />

alors qu’il n’était pas en colère lui-même ; aussi se montra-t-il<br />

exprès, plusieurs fois, en désaccord avec ce qui se disait, <strong>et</strong><br />

s’exprima-t-il avec inso<strong>le</strong>nce <strong>et</strong> grossièr<strong>et</strong>é. Shōda <strong>et</strong> Debuchi<br />

prirent <strong>le</strong> parti d’en rire. Impossib<strong>le</strong> de pousser à la vio<strong>le</strong>nce<br />

aucun de ces quatre hommes.<br />

Musashi était au désespoir. Il ne pouvait supporter l’idée de<br />

partir sans avoir atteint son but. Il voulait qu’à sa couronne<br />

brillât l’étoi<strong>le</strong> de la victoire ; il voulait que l’avenir sût que<br />

Musashi était passé par là, qu’il en était reparti en laissant sa<br />

marque sur la Maison de Yagyū. Avec son propre <strong>sabre</strong> il voulait<br />

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