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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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En regardant <strong>le</strong>s toits de Miyamoto, Otsū, assise, rêvait.<br />

C’était un p<strong>et</strong>it bout de femme au teint clair, aux cheveux noirs<br />

<strong>et</strong> lustrés. Fine d’attaches, <strong>le</strong>s membres frê<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong> avait un air<br />

ascétique, presque éthéré. A la différence des robustes <strong>et</strong><br />

rougeaudes fil<strong>le</strong>s de ferme qui travaillaient en bas dans <strong>le</strong>s<br />

rizières, Otsū avait <strong>le</strong>s gestes délicats. El<strong>le</strong> marchait avec grâce,<br />

son cou de cygne bien droit, la tête haute. Maintenant, perchée<br />

au bord du portique du temp<strong>le</strong> de Shippōji, el<strong>le</strong> avait la<br />

perfection d’une statu<strong>et</strong>te de porcelaine.<br />

Enfant trouvée, é<strong>le</strong>vée dans ce temp<strong>le</strong> de la montagne, el<strong>le</strong> y<br />

avait acquis une charmante réserve, rare chez une fil<strong>le</strong> de seize<br />

ans. Son iso<strong>le</strong>ment par rapport aux autres fil<strong>le</strong>s de son âge <strong>et</strong><br />

par rapport au monde ordinaire avait donné à son regard une<br />

expression grave <strong>et</strong> contemplative qui avait tendance à rebuter<br />

<strong>le</strong>s hommes habitués aux femmes frivo<strong>le</strong>s. Matahachi, son<br />

fiancé, n’avait qu’un an de plus qu’el<strong>le</strong>, <strong>et</strong> depuis qu’il avait<br />

quitté Miyamoto avec Takezō l’été précédent, el<strong>le</strong> était sans<br />

nouvel<strong>le</strong>s. Jusqu’aux premier <strong>et</strong> second mois de la nouvel<strong>le</strong><br />

année, el<strong>le</strong> avait ardemment attendu un mot de lui ; mais voici<br />

qu’arrivait <strong>le</strong> quatrième mois. El<strong>le</strong> n’osait plus espérer.<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong>va paresseusement <strong>le</strong>s yeux vers <strong>le</strong>s nuages, <strong>et</strong> une<br />

pensée se fit jour avec <strong>le</strong>nteur : « Cela fera bientôt une année<br />

entière. <strong>La</strong> sœur de Takezō n’a pas non plus de nouvel<strong>le</strong>s de lui.<br />

Il serait fou de ma part de croire que l’un ou l’autre soit encore<br />

en vie. » De temps à autre, el<strong>le</strong> disait cela à quelqu’un, l’espoir<br />

au cœur, en suppliant presque, de la voix <strong>et</strong> des yeux, l’autre<br />

personne de la contredire, de lui dire de ne pas renoncer. Mais<br />

nul ne faisait attention à ses soupirs. Pour ces villageois terre à<br />

terre, déjà habitués à l’occupation du modeste château de<br />

Shimmen par <strong>le</strong>s troupes de Tokugawa, il n’y avait au monde<br />

aucune raison de croire qu’ils vivaient encore. Pas un seul<br />

membre de la famil<strong>le</strong> du seigneur Shimmen n’était revenu de<br />

Sekigahara, mais c’était tout naturel. Il s’agissait de samouraïs ;<br />

ils avaient perdu. Ils n’auraient pas <strong>le</strong> front de se montrer à des<br />

gens qui <strong>le</strong>s connaissaient. Mais de simp<strong>le</strong>s soldats ? N’avaientils<br />

pas <strong>le</strong> droit de rentrer chez eux ? Ne l’auraient-ils pas fait<br />

depuis longtemps s’ils avaient survécu ?<br />

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