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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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« Hum, se disait Musashi, dessiner n’est pas aussi faci<strong>le</strong> que<br />

ça en a l’air, je suppose. » Pour l’instant, il s’ennuyait moins ; il<br />

regardait avec fascination <strong>le</strong>s coups de pinceau de Kō<strong>et</strong>su. Ce<br />

dernier, songeait-il, devait ressentir quelque chose de très<br />

semblab<strong>le</strong> à ce qu’il éprouvait lui-même quand il affrontait un<br />

ennemi, pointe de <strong>sabre</strong> contre pointe de <strong>sabre</strong>. A un certain<br />

moment, il s’é<strong>le</strong>vait au-dessus de lui-même <strong>et</strong> sentait qu’il était<br />

devenu un avec la nature... non, pas « sentait » car en c<strong>et</strong><br />

instant où son <strong>sabre</strong> entaillait son adversaire, toute sensation<br />

disparaissait. Il n’y avait que ce magique instant de<br />

transcendance.<br />

« Kō<strong>et</strong>su considère encore l’eau comme une ennemie,<br />

rêvait-il. Et voilà pourquoi il ne peut la dessiner. Pour réussir, il<br />

doit devenir un avec el<strong>le</strong>. »<br />

Sans rien à faire il glissait de l’ennui dans la léthargie, ce qui<br />

l’inquiétait. Il ne fallait pas se détendre, même un instant. Il<br />

devait s’en al<strong>le</strong>r.<br />

— Pardonnez-moi de vous avoir dérangés, dit-il<br />

brusquement, <strong>et</strong> il se mit à rattacher ses sanda<strong>le</strong>s.<br />

— Oh ! vous partez déjà ? demanda Myōshū.<br />

Kō<strong>et</strong>su se r<strong>et</strong>ourna doucement <strong>et</strong> dit :<br />

— Ne pouvez-vous rester encore un peu ? Mère va faire <strong>le</strong><br />

thé maintenant. Si je ne me trompe, vous êtes celui qui a<br />

affronté <strong>le</strong> maître de la Maison de Yoshioka ce matin. Un peu de<br />

thé après un combat fait du bien ; c’est du moins ce que dit <strong>le</strong><br />

seigneur Maeda. Ieyasu aussi. Le thé est bon pour l’esprit. Je<br />

doute qu’il existe quoi que ce soit de meil<strong>le</strong>ur. A mon avis,<br />

l’action naît du calme. Restez donc bavarder. Je me joins à vous.<br />

Ainsi donc, Kō<strong>et</strong>su avait connaissance du combat ! Mais<br />

peut-être n’était-ce pas si extraordinaire ; <strong>le</strong> Rendaiji ne se<br />

trouvait pas loin, seu<strong>le</strong>ment de l’autre côté du champ voisin.<br />

Question plus intéressante : pourquoi n’en avait-il soufflé mot<br />

jusque-là ? Simp<strong>le</strong>ment parce qu’il considérait que ce genre<br />

d’affaire appartenait à un monde différent du sien ? Musashi<br />

regarda pour la seconde fois la mère <strong>et</strong> <strong>le</strong> fils, <strong>et</strong> se rassit.<br />

— Si vous insistez, dit-il.<br />

— Nous n’avons pas grand-chose à vous offrir, mais votre<br />

compagnie nous fait plaisir, dit Kō<strong>et</strong>su.<br />

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