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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Juste après la tombée du jour, une torche rougeâtre traversa<br />

<strong>le</strong> jardin, <strong>et</strong> l’un des samouraïs du seigneur Karasumaru frappa<br />

à la porte. Il tendit une l<strong>et</strong>tre à Jōtarō, en disant :<br />

— C’est de Musashi à Otsū. Sa Seigneurie a dit qu’Otsū<br />

devait prendre bien soin d’el<strong>le</strong>-même.<br />

Il tourna <strong>le</strong>s talons <strong>et</strong> repartit. « C’est bien l’écriture de<br />

Musashi, se dit Jōtarō. Il doit être vivant. » Puis, avec une<br />

certaine indignation : « C<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre est adressée à Otsū, pas à<br />

moi, à ce que je vois. » Venant du fond de la chaumière, Otsū<br />

dit :<br />

— Ce samouraï a apporté une l<strong>et</strong>tre de Musashi, n’est-ce<br />

pas ?<br />

— Oui, mais je ne crois pas que ça vous intéresse, répliquat-il,<br />

boudeur, en cachant la l<strong>et</strong>tre derrière son dos.<br />

— Oh ! arrête, Jōtarō. <strong>La</strong>isse-moi la lire ! implora Otsū.<br />

Il résista un moment, mais, à la première menace de larmes,<br />

j<strong>et</strong>a l’enveloppe à la jeune fil<strong>le</strong>.<br />

— Ha ! triompha-t-il. Vous prétendez que vous ne vou<strong>le</strong>z<br />

pas <strong>le</strong> voir, mais vous ne pouvez pas attendre de lire sa l<strong>et</strong>tre.<br />

Tandis qu’el<strong>le</strong> s’accroupissait auprès de la lampe, <strong>le</strong> papier<br />

tremblant dans ses doigts blancs, la flamme semblait exprimer<br />

une gai<strong>et</strong>é particulière, présage de bonheur <strong>et</strong> de chance.<br />

L’encre étincelait comme un arc-en-ciel, <strong>et</strong> <strong>le</strong>s larmes, sur <strong>le</strong>s<br />

cils de la jeune fil<strong>le</strong>, comme des joyaux. Soudain transportée en<br />

un monde dont el<strong>le</strong> n’avait osé espérer l’existence, Otsū se<br />

rappela <strong>le</strong> passage extatique du poème de Po Chü-i où l’âme<br />

défunte de Yang Kuei-fei se réjouit d’un message d’amour de<br />

son empereur affligé.<br />

El<strong>le</strong> lut <strong>et</strong> relut <strong>le</strong> bref message. « En c<strong>et</strong> instant même, il<br />

doit m’attendre. Il faut que je me dépêche. » Bien qu’el<strong>le</strong> crût<br />

prononcer à haute voix ces paro<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong> n’émit pas un son.<br />

Fébri<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong> griffonna des mots de remerciement au<br />

propriétaire de la chaumière, aux autres prêtres du Ginkakuji, <strong>et</strong><br />

à tous ceux qui avaient été bons pour el<strong>le</strong> au cours de son<br />

séjour. El<strong>le</strong> avait rassemblé ses affaires, attaché ses sanda<strong>le</strong>s, <strong>et</strong><br />

se trouvait dehors, dans <strong>le</strong> jardin, avant de s’apercevoir que<br />

Jōtarō, resté assis à l’intérieur, boudait toujours.<br />

— Allons, Jō ! Dépêche-toi !<br />

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