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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Il la regarda fixement, abasourdi par la froideur de son<br />

visage <strong>et</strong> la ferm<strong>et</strong>é de sa voix, se demandant si c’était bien la<br />

jeune fil<strong>le</strong> qui, lorsqu’el<strong>le</strong> s’autorisait à révé<strong>le</strong>r ses passions,<br />

ressemblait au so<strong>le</strong>il printanier ? Il avait l’impression de frotter<br />

un morceau d’albâtre blanc comme neige. Où c<strong>et</strong>te sévérité se<br />

cachait-el<strong>le</strong>, autrefois ?<br />

Il se remémorait <strong>le</strong> péristy<strong>le</strong> du Shippōji, <strong>et</strong> comment,<br />

souvent assise là durant une demi-journée ou davantage, ses<br />

yeux limpides <strong>et</strong> rêveurs contemplaient si<strong>le</strong>ncieusement <strong>le</strong> vide<br />

comme si dans <strong>le</strong>s nuages el<strong>le</strong> avait distingué sa mère, son père,<br />

ses frères <strong>et</strong> ses sœurs.<br />

Il se rapprocha <strong>et</strong>, avec autant de crainte qu’il eût cherché<br />

parmi des épines un bouton de rose blanche, murmura :<br />

— Essayons encore, Otsū. Les cinq années sont à jamais<br />

enfuies, mais repartons à zéro, maintenant, seu<strong>le</strong>ment nous<br />

deux.<br />

— Matahachi, dit-el<strong>le</strong> avec calme, tu rêves ? Je ne parlais<br />

pas de la longueur du temps ; je parlais de l’abîme qui sépare<br />

nos cœurs, nos vies.<br />

— Je sais. Ce que je veux dire, c’est qu’à partir de c<strong>et</strong> instant<br />

précis je vais reconquérir ton amour. Peut-être que je ne devrais<br />

pas dire cela, mais presque tous <strong>le</strong>s jeunes hommes ne risquentils<br />

pas d’être coupab<strong>le</strong>s de la faute que j’ai commise ?<br />

— Tu as beau dire, jamais plus je ne pourrai prendre au<br />

sérieux ta paro<strong>le</strong>.<br />

— Ah ! mais Otsū, je sais bien que j’avais tort ! Je suis un<br />

homme, <strong>et</strong> pourtant me voici en train de présenter des excuses à<br />

une femme. Tu ne comprends donc pas combien ça m’est<br />

diffici<strong>le</strong> ?<br />

— Arrête ! Si tu es un homme, agis en homme.<br />

— Mais il n’y a rien de plus important pour moi au monde.<br />

Si tu veux, j’implorerai à genoux ton pardon. Je te donnerai ma<br />

paro<strong>le</strong> d’honneur. Je jurerai sur tout ce que tu voudras.<br />

— Peu m’importe !<br />

— Ne te fâche pas, je t’en prie. Ecoute, ce n’est pas un<br />

endroit pour par<strong>le</strong>r. Allons ail<strong>le</strong>urs. Je ne veux pas que ma mère<br />

nous trouve. Viens, allons. Je ne peux te tuer. Il me serait<br />

impossib<strong>le</strong> de te tuer.<br />

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