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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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longtemps que l’un d’eux ne bougerait pas de son propre chef,<br />

Musashi ne pourrait prendre aucune initiative. Il ne pouvait<br />

qu’attendre, en espérant que l’un d’eux finirait par comm<strong>et</strong>tre<br />

une faute momentanée qui lui ouvrirait une brèche.<br />

Ses adversaires ne profitaient guère de <strong>le</strong>ur supériorité en<br />

nombre. Ils savaient qu’au moindre signe de relâchement de<br />

l’un quelconque d’entre eux, Musashi frapperait. Ils étaient<br />

conscients d’avoir affaire à un type d’homme exceptionnel.<br />

Même Kizaemon ne pouvait rien tenter. « Curieux<br />

homme ! » se disait-il à part soi.<br />

Sabres, hommes, terre, ciel : tout semblait statufié par <strong>le</strong><br />

gel. Mais alors, dans c<strong>et</strong>te immobilité se fit entendre un son<br />

tota<strong>le</strong>ment inattendu, <strong>le</strong> son d’une flûte, apporté par <strong>le</strong> vent.<br />

Tandis que la mélodie s’insinuait dans <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s de<br />

Musashi, il s’oubliait lui-même, oubliait l’ennemi, oubliait la vie<br />

<strong>et</strong> la mort. Dans <strong>le</strong>s profondeurs de son âme il reconnaissait ce<br />

son : c’était celui qui l’avait attiré hors de sa cach<strong>et</strong>te sur <strong>le</strong><br />

mont Takateru – <strong>le</strong> son qui l’avait livré aux mains de Takuan.<br />

C’était la flûte d’Otsū, <strong>et</strong> c’était Otsū qui en jouait.<br />

Musashi s’attendrit au fond de lui-même. A l’extérieur, <strong>le</strong><br />

changement était à peine perceptib<strong>le</strong>, mais cela suffisait.<br />

Poussant un cri de guerre jailli du tréfonds de lui-même,<br />

Kimura se j<strong>et</strong>a en avant ; son bras qui tenait <strong>le</strong> <strong>sabre</strong> parut<br />

s’allonger de plusieurs mètres.<br />

Les musc<strong>le</strong>s de Musashi se contractèrent. Il était certain<br />

d’avoir été b<strong>le</strong>ssé. De l’épau<strong>le</strong> au poign<strong>et</strong> sa manche gauche était<br />

déchirée, <strong>et</strong> son bras soudainement dénudé lui faisait croire que<br />

la chair se trouvait à vif.<br />

Pour une fois, sa maîtrise de lui-même l’abandonna ; il cria<br />

<strong>le</strong> nom du dieu de la guerre. Il bondit, fit un brusque demi-tour,<br />

<strong>et</strong> vit Kimura trébucher vers la place que lui-même avait<br />

occupée.<br />

— Musashi ! cria Debuchi Magobei.<br />

— Tu par<strong>le</strong>s mieux que tu ne te bats ! ironisa Murata, tandis<br />

que lui-même <strong>et</strong> Kizaemon s’efforçaient de couper la r<strong>et</strong>raite à<br />

Musashi.<br />

Mais ce dernier, d’un puissant coup de pied par terre,<br />

bondit de nouveau au point d’eff<strong>le</strong>urer <strong>le</strong>s basses branches des<br />

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