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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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sont considérés comme des êtres humains à part entière,<br />

pourquoi faut-il que je sois né nob<strong>le</strong> ? »<br />

D’après lui, la classe des guerriers n’aurait dû s’occuper que<br />

de questions militaires <strong>et</strong> de rien d’autre, <strong>et</strong> tout jeune courtisan<br />

doté d’intelligence qui ne se rebiffait pas devant l’état de choses<br />

en vigueur était un fou. <strong>La</strong> suprématie absolue des guerriers<br />

contredisait <strong>le</strong> principe ancien selon <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> pouvoir devait<br />

être exercé par la cour impéria<strong>le</strong> assistée des militaires. Les<br />

samouraïs n’essayaient même plus de vivre en harmonie avec la<br />

nob<strong>le</strong>sse ; ils dirigeaient tout, traitant <strong>le</strong>s membres de la cour<br />

comme de simp<strong>le</strong>s ornements. Non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s coiffures<br />

apprêtées que <strong>le</strong>s courtisans étaient autorisés à porter n’avaient<br />

pas de sens, mais <strong>le</strong>s décisions qu’ils étaient autorisés à prendre<br />

auraient pu être prises par des mannequins.<br />

Le seigneur Karasumaru considérait comme une erreur<br />

grave, de la part des dieux, d’avoir fait d’un homme comme luimême<br />

un nob<strong>le</strong>. Et, bien que serviteur de l’empereur, il ne<br />

voyait devant lui que deux possibilités : vivre dans une tristesse<br />

constante, ou passer son temps à faire la fête. Le choix<br />

raisonnab<strong>le</strong> était de reposer sa tête sur <strong>le</strong>s genoux d’une bel<strong>le</strong><br />

femme, d’admirer la pâ<strong>le</strong> clarté de la lune, de contemp<strong>le</strong>r au<br />

printemps <strong>le</strong>s f<strong>le</strong>urs de cerisier, <strong>et</strong> de mourir une coupe de saké<br />

à la main.<br />

Ayant progressé du poste de ministre impérial des Finances<br />

à celui de conseil<strong>le</strong>r impérial, il était un haut fonctionnaire de la<br />

bureaucratie sans pouvoir de l’empereur ; mais il passait<br />

beaucoup de temps au quartier réservé dont l’atmosphère était<br />

propice à l’oubli des insultes qu’il devait essuyer lorsqu’il traitait<br />

d’affaires plus pratiques. Parmi ses compagnons habituels se<br />

trouvaient plusieurs autres jeunes nob<strong>le</strong>s insatisfaits, tous<br />

pauvres en comparaison des dirigeants militaires, mais capab<strong>le</strong>s<br />

d’une manière ou d’une autre de se procurer l’argent nécessaire<br />

à <strong>le</strong>urs excursions de chaque soir à l’Ōgiya – l’unique endroit,<br />

affirmaient-ils, où ils pouvaient se sentir humains.<br />

Ce soir-là, il avait pour hôte un autre genre d’homme, <strong>le</strong><br />

taciturne <strong>et</strong> bien é<strong>le</strong>vé Konoe Nobutada, son aîné d’une dizaine<br />

d’années. Nobutada, lui aussi, avait un maintien aristocratique<br />

<strong>et</strong> un regard grave. Son visage était p<strong>le</strong>in, ses sourcils épais ;<br />

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