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Jarry semble ici s’inspirer quelque peu du Tiers Livre : « [c]ar en matière de signifier par gestes,<br />

estoit tant excellent qu’il sembloit parler des doigtz. Pourtant vous fault choisir un mut sourd de<br />

nature, afin que ses gestes et signes vous soient naïfvement propheticques, non faincts, fardez, ne<br />

affectez. 1 » Mais cet écho possible de sa lecture intense et fécondante de Rabelais, qui se fait<br />

sentir dans toute son œuvre, n’est pas l’essentiel.<br />

En suggérant l’importance d’un langage qui se tienne en-deçà de toute modalité du bruit (un<br />

langage qui rompe avec la signification d’un déroulé sonore), véritablement mathématique du fait<br />

de la précision de la gestuelle par quoi il s’exprime entièrement (le terme « mathématique »<br />

suggère le caractère métronomique des gestes et les figures géométriques qu’ils tracent<br />

brièvement dans l’espace), Jarry s’inscrit avec force dans l’intérêt partagé par nombre d’auteurs à<br />

son époque pour la pantomime, cherchant à montrer que celle-ci « touche plus profond que le<br />

langage 2 ».<br />

Il s’agit, par cet intérêt donné au silence dont témoigne avec éclat le livre de Trachsel, intérêt<br />

relayé par Jarry dans son compte rendu puis développé dans son œuvre, d’avoir la « prétention »<br />

de « prouver […] que le geste est tout ; et par là j’entends bien dire qu’il est tout absolument, et<br />

que le reste est négligeable, flatueux et superfétatoire 3 ».<br />

Cette attention donnée au silence de la parole qui devient langage par le biais de la gestuelle<br />

(gestuelle que trace également visuellement Trachsel au moyen de la spatialisation de ses poèmes<br />

et des points de suspension égrenés dans la page) naît entièrement, peut-on penser, d’un dédain<br />

pour la littérature lequel naît d’un dédain pour les mots, force devenue commune, ayant<br />

prétendument perdu toute son aura des débuts, tout son pouvoir évocateur : « la littérature »,<br />

ainsi que le résume Camille Mauclair dans Le Soleil des Morts, à la suite de Mallarmé, « est faite avec<br />

les mots qui servent à toutes les professions, en sorte que chacun, usant de ces mots, s’en croit<br />

possesseur, tandis qu’il regarde humblement un pinceau ou un ébauchoir, dont il ne sait se<br />

servir. 4 »<br />

2. Jarry puise textuellement dans le passage suivant (nous soulignons), cherchant en outre à le<br />

synthétiser : « L’auteur a pensé que pour certaines impressions ressenties devant les paysages, il ne serait<br />

1 François Rabelais, Les Cinq Livres, édition critique de Jean Céard, Gérard Defaux et Michel<br />

Simonin, préface de Michel Simonin, La Pochothèque, Le livre de poche, 1994, p. 665.<br />

2 Jean Richepin, « La Gloire du geste », Théâtre chimérique, Charpentier, 1896, p. 362 (cité par Guy<br />

Ducrey, « Retours romanesques du mime antique autour de 1900 », Dir. Sophie Basch & Pierre<br />

Chuvin, Pitres et Pantins Transformations du masque comique : de l’Antiquité au théâtre d’ombres, Presses de<br />

l’Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 224).<br />

3 Jean Richepin, op. cit., p. 363 (cité par Guy Ducrey, op. cit.).<br />

4 Romans fin-de-siècle, 1890-1900, textes établis, présentés et annotés par Guy Ducrey, Robert<br />

Laffont, collection Bouquins, 1999, p. 870.<br />

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