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(les publications à compte d’auteur n’étaient pas rares, et Jarry leur accorde d’emblée de l’intérêt,<br />

ainsi qu’en témoigne le corpus de ses textes de critique littéraire), les auteurs de la même<br />

obédience stylistique que Jarry ont une ambition qui sera oralisée par Walter Benjamin dans « La<br />

tâche du traducteur » : « […] l’art présuppose l’essence corporelle et intellectuelle de l’homme,<br />

mais dans aucune de ses œuvres il ne présuppose son attention. Car aucun poème ne s’adresse au<br />

lecteur, aucun tableau au spectateur, aucune symphonie à l’auditoire. 1 » C’est pour cette raison<br />

que Jarry écrit dans L’Amour absolu : « Emmanuel fut, avec des êtres trop falots pour s’éjouir au<br />

tambour suggéré de tympans de chair, son seul auditeur. 2 »<br />

S’il s’agit de refuser que l’œuvre écrite puisse être pensée pour son lecteur, c’est d’abord<br />

peut-on penser parce qu’à travers le lecteur c’est la lecture qui est visée, c’est-à-dire le mode<br />

d’appropriation d’un texte qui s’opère suivant toujours la prédilection d’un sens (fonction de<br />

l’attitude, de la psyché, des apprentissages propres à chaque lecteur), ainsi que l’assène le « trop<br />

lisible » : « [t]oute lecture privilégie un sens, désambiguïse fonctionnellement le texte […] 3 ».<br />

2. 2. 5. Les écrivains œuvrant dans la presse sont-ils réellement condamnables au vu<br />

du monde littéraire ?<br />

La presse est ainsi, comme nous l’avons suggéré, l’objet livresque de la foule par excellence :<br />

du fait de cette adéquation totale entre les deux entités que sont la presse et la foule, lorsque Jarry<br />

s’oppose à cette dernière, avec vigueur s’oppose-t-il dans le même temps, ne serait-ce<br />

qu’implicitement, à la presse. Par cette adéquation féconde en enchantements (étant féconde en<br />

profits), la presse devient à cette époque précisément l’objet idéal (quant au marché et à sa<br />

logique endogène), non vécu comme transitionnel, d’une nouvelle ère du signe, objet allant<br />

jusqu’à paraître définitoire de toute forme d’écrit (l’écrit étant d’abord perçu dans sa capacité à<br />

communiquer un message, étant pourvu de fait, toujours, d’une sémantique).<br />

Mais certes pas pour les auteurs qui doivent passer par là pour assurer la matérielle,<br />

prostituant leur plume, et, ce faisant, leur âme. Cette condamnation issue de l’ « élite » littéraire ne<br />

connaît-elle aucune nuance ?<br />

En réalité, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, de nombreuses voix,<br />

parmi les auteurs eux-mêmes, s’élèvent pour justifier cette forme de collaboration, arguant que la<br />

liberté n’a pas de prix, face au constat maintes fois répété, et souvent par les écrivains participant<br />

1 Walter Benjamin, Œuvres, I, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et<br />

Pierre Rusch, Gallimard, collection Folio essais, 2000, p. 244.<br />

2 Bouquin, p. 698.<br />

3 Michel Picard, Lire le temps, Les Éditions de Minuit, collection Critique, 1989, p. 104.<br />

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