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Aussi l’harmonie présupposée du monde, laquelle garantit le bien-être des individus<br />

embrassés collectivement par le pouvoir, est-elle remise en question par Jarry et Valéry.<br />

L’idée d’unité qui transparaît continûment du corps des sciences fait place dans la conscience<br />

des deux auteurs avides de découvertes individuelles à celle de morcellement.<br />

Exemple anodin, mais révélateur : là où l’on nous présente une ligne, ne faut-il pas plutôt voir<br />

une réunion de points ? « Ainsi une ligne droite sera la plus facile à concevoir de toutes les lignes,<br />

parce qu’il n’y a pas d’effort plus petit pour la pensée que celui à exercer en passant de l’un de ses<br />

points à un autre, chacun d’eux étant semblablement placé par rapport à tous les autres. En<br />

d’autres termes, toutes ses portions sont tellement homogènes, si courtes qu’on les conçoive,<br />

qu’elles se réduisent toutes à une seule, toujours la même… 1 »<br />

Brisant l’apparence d’harmonie qui émane du discours unificateur d’Auguste Comte, Jarry et<br />

Valéry en viennent à interroger du regard tous ces fragments, arbitrairement reliés 2 , lesquels<br />

constituent les carapaces de principes (physiques, mathématiques, moraux etc.) qui figent les êtres<br />

en même temps qu’elles permettent leur existence sociale 3 .<br />

Se faisant, ils reconnaissent la facilité avec laquelle l’homme « soumet ses pensées à un<br />

contrôle supérieur, soit en valeur, soi en puissance 4 », ledit contrôle étant, en ce siècle finissant,<br />

incarné par la science.<br />

Pour faire face à cette tyrannie silencieuse s’impose la nécessité de fabriquer des systèmes 5 qui<br />

démontreraient le périmé de l’âge positif en même temps que la nécessité de rechercher une<br />

vérité … personnelle, qui puisse rendre compte, non du seul sujet mais de tout ce qui l’environne,<br />

non pas suivant la théorie idéaliste qui consiste à penser que le dehors n’est qu’une excroissance<br />

idéique de son moi, mais parce que chacun recèle l’alphabet secret et inemployé qui lui<br />

permettrait de dire le monde.<br />

1 Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Gallimard, collection Folio Essais, 1957, p. 36.<br />

2 S’interrogeant, ils en viennent à distinguer les véritables liaisons existant entre les choses et les<br />

êtres (entre les choses et les choses, entre les êtres et les êtres également), qui sont les mêmes que<br />

celles qu’opère l’esprit avec les choses qu’il prend en compte (en assaut), procédant par les étapes<br />

successives que suggère sa méthode (voir l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci).<br />

3 Aussi les méthodes de Jarry et de Valéry sont-elles ontologiquement anarchisantes puisqu’elles<br />

refusent à l’individu son statut d’être parmi. Il est un être-seul. Et le monde n’est qu’un gigantesque<br />

puzzle qu’il s’agit de déchiffrer, non pas une mécanique dans laquelle il devrait s’insérer comme<br />

simple rouage.<br />

4 Simone Weil, op. cit., p. 591.<br />

5 « [U]ne foule de ces systèmes sont possibles », « l’un d’eux en particulier ne vaut pas plus qu’un<br />

autre » (Valéry, op. cit., p. 17).<br />

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