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— La parole est le propre de l’homme ?<br />

Ainsi, si Jarry revient dans « Livres d’étrennes : « le calendrier du facteur » » au début de 1903<br />

sur l’ouvrage de Haeckel sans le nommer pour préciser son évocation plus ancienne, ce n’est pas<br />

seulement pour donner voix à son souvenir de lecture encore intense de L’Île du Docteur Moreau<br />

paru en 1901 : « [l]a grande différence entre l’homme et le singe est dans le larynx […] 1 ». S’il le<br />

fait, c’est parce que cette conception de la parole comme identité de l’homme est pour lui<br />

importante.<br />

En effet, si Renan dans L’avenir de la science 2 affirme qu’ « [o]n n’est homme qu’à la condition<br />

de la culture intellectuelle et morale », Jarry se range à l’avis de Joseph Delbœuf qui proclame<br />

dans Le Sommeil et les rêves 3 que « [l]e langage semble être particulier à l’homme, ou plutôt [que]<br />

nous sommes tentés d’appeler homme tout animal qui saurait parler », l’auteur de Messaline<br />

écrivant dans « Livres d’étrennes : « le calendrier du facteur » » : « La parole, c’est l’homme », aurait<br />

écrit Buffon, s’il n’avait trop bien su qu’il ne s’adressait qu’à des civilisés. Sa définition, telle qu’il<br />

la formula, reste exacte […] ».<br />

L’on pourrait nous rétorquer que Jarry ne parle spécifiquement que du langage modulé qui a<br />

pour support une sémantique acquise et non innée mais la formulation de Delbœuf, qui assimile<br />

parfaitement dans le passage du Sommeil et les rêves que nous avons évoqué le fait de « parler » et<br />

celui de posséder un « langage » nous permet d’affirmer que l’on ne saurait établir de fait cette<br />

distinction de façon absolument tranchée, Delbœuf (1831-1896), philosophe (il enseigne la<br />

philosophie à l’université de Gand de 1863 à 1866 puis la philologie de 1866 à 1896 à l’université<br />

de Liège), mathématicien et psychologue belge (surtout connu pour ses travaux sur le magnétisme<br />

animal, soit l’hypnose – desquels Jarry s’inspira peut-être pour l’écriture de L’Amour absolu – et<br />

pour sa contribution notable aux débats autour de la psychophysique), ayant été un scientifique<br />

éminemment respecté de son vivant et ayant incarné en somme une certaine légitimité<br />

scientifique.<br />

Il est, de ce fait, comme toutes les grandes sommités scientifiques de son époque, davantage<br />

qu’un créateur (sa formulation n’est ainsi nullement le fruit d’un écart quant à la norme<br />

scientifique alors en vigueur), s’affirmant comme le point de focale où se cristallisent les<br />

1<br />

H.G. Wells, La machine à explorer le temps, suivi de L’île du docteur Moreau, traduit de l’anglais par<br />

Henry D. Davray, Gallimard, collection Folio, 1959, p. 271.<br />

2<br />

E. Renan, L’avenir de la science, présentation et notes par Annie Petit, Flammarion, collection GF,<br />

1995, p. 358.<br />

3<br />

Joseph Delbœuf, Le Sommeil et les rêves, Le Magnétisme animal, Quelques considérations sur la psychologie<br />

de l’hypnotisme, Fayard, collection Corpus des œuvres de Philosophie en langue française, 1993, p.<br />

196-197.<br />

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