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Il s’agit de créer, mais de créer « hors nature », c’est-à-dire sans passer par l’acte de chair. Jarry<br />

donne corps, à nouveau, à une idée très répandue, que reprendra notamment Camille Mauclair<br />

dans Le Soleil des Morts (mais il est vrai qu’il est alors question de peinture) : « Oui… je crée tout<br />

ça… Il n’y a plus d’hommes ni de femmes, ça s’en va. Alors, je me fais mon peuple. Et je ne le<br />

vends pas ; ils n’en auront pas, tous les benêts rentés, ces beaux fils à succès. Je garde mes<br />

enfants, et je les fais hors nature, avec un sang à moi, avec des allures telles que plus tard, quand<br />

on trouvera cet atelier plein, après ma mort, on restera ahuri 1 ». En outre, Mallarmé, par exemple,<br />

écrit à Armand Renaud le 20 décembre 1866 : « J’ai infiniment travaillé cet été, à moi d’abord, en<br />

créant, par la plus belle syn<strong>thèse</strong>, un monde dont je suis le Dieu – et à un Œuvre qui en résultera,<br />

pur et magnifique, je l’espère. 2 »<br />

Cependant, pour Jarry, l’artiste est Dieu pour une raison très précise. C’est justement de par<br />

son statut de créateur, l’œuvre étant la seule création qui puisse exister pour l’auteur du Surmâle en<br />

tant que création (et uniquement en tant que création) car c’est la seule qui n’échappe pas à son<br />

auteur : c’est la seule création dont l’homme peut maîtriser tous les aspects (au moins<br />

illusoirement ; c’est ce désir très présent chez Jarry qui le poussera à vouloir contrôler – peut-on<br />

penser – tous les aspects notamment de la fabrication des Minutes ou de César-Antechrist et à être<br />

lui-même l’auteur des gravures présentes au sein de ces ouvrages etc. ; et, en outre, c’est ce désir<br />

qui le poussera à vouloir utiliser un spectacle de marionnettes, afin que le hasard et l’individualité<br />

des acteurs ne viennent pas constituer l’ajout d’un variable sémantique qui dénaturerait l’œuvre en<br />

la retirant en partie à son auteur, puisque l’on pourrait alors considérer que l’acteur devient le co-<br />

auteur, même à un niveau infime).<br />

Aussi l’auteur est-il bien le Dieu de son œuvre, a contrario de l’enfantement qui constitue une<br />

caricature de cet acte de création car le propre de l’enfant est d’échapper à son géniteur, dans une<br />

individualité, une personnalité peu à peu conquises. Ainsi, le créateur est Dieu parce qu’il est<br />

l’auteur d’une œuvre dont il peut (bien évidemment fantasmatiquement) maîtriser tous les<br />

aspects.<br />

Mais ce n’est pas tout : le corollaire de cette définition est que le principe de syn<strong>thèse</strong>, Jarry<br />

s’inscrivant ici en force dans le symbolisme finissant, est ce qui permet à l’œuvre d’être une<br />

œuvre. En somme, l’homme est Dieu s’il crée une œuvre, et il crée une œuvre s’il parvient à<br />

déployer ce principe de syn<strong>thèse</strong>. C’est par la syn<strong>thèse</strong>, autrement dit par le « raccourci » tel que<br />

1 Romans Fin-de-Siècle, 1890-1900, textes établis, présentés et annotés par Guy Ducrey, Robert<br />

Laffont, collection Bouquins, 1999, p. 954.<br />

2 Mallarmé, Œuvres complètes, I, édition présentée, établie et annotée par Bertrand Marchal,<br />

Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 1998, p. 712.<br />

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