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servent à inspicere libidinose feminas, selon l’expression des casuistes, ce qui n’entrave point<br />

l’attention qu’ils prêtent au spectacle, vu que celle-ci s’exerce par ailleurs 1 ».<br />

Cet usage que fait Jarry, ainsi que cela est perceptible en ces quatre exemples, du latin, est,<br />

outre le fait qu’il traduit une pudeur, très intéressant dans le sens où le latin, tel que l’exprime<br />

Léon Bloy en 1893, « est la langue immaculée, conçue sans péché, pour qui n’est pas faite la loi<br />

commune 2 ». Comme le remarque à sa suite Jean de Palacio, « [l]e goût prononcé de la Décadence<br />

pour le latin, surtout médiéval, doit être compris dans cette perspective. 3 »<br />

Il faut néanmoins également replacer cet usage du latin – fleurissant à cette époque – au sein<br />

d’un usage plus large qui consiste pour l’auteur à faire entrer l’élément étranger (fût-il, cas limite,<br />

inventé de toutes pièces) quant à sa langue personnelle dans celle-ci, afin de la rendre<br />

paradoxalement encore plus personnelle, c’est-à-dire de lui permettre d’échapper au sens<br />

commun, en lui faisant s’attacher des parcelles de sens qui ne sont pas (du moins souvent pas<br />

entièrement, pour ce qui est de tout lecteur) saisissables : une certaine dose d’imprécision<br />

sémantique, légitimée dans son déploiement (puisqu’il s’agit d’emprunter des éléments de langues<br />

étrangères : la non compréhension à laquelle ceux-ci sont rattachés est rendue immédiatement<br />

visible et conçue forcément par le lecteur comme conforme à l’usage ; il n’y a ainsi pas de manière<br />

de choc qui en résulte – sauf connaissance, par le lecteur, relativement rare peut-on penser, de la<br />

langue étrangère utilisée et perception d’un usage déviant de celle-ci), se voyant rattachée à la<br />

sémantique appropriable qui parcourt le texte, cette dernière s’en trouve agrandie à hauteur de<br />

l’indétermination qui lui échoit (cela est notamment perceptible, pour ce qui est de Jarry, dans<br />

Faustroll). Ainsi, l’on peut constater, comme le stigmatise Charles Gidel dans son Histoire Générale<br />

de la Littérature Française depuis 1815 jusqu’à nos jours (Lemerre, p. 394), propos cité dans Le Mercure<br />

de France en 1891, au sein de la rubrique « Échos divers et communications », que « [l]es<br />

symbolistes ont introduit leur système dans la prose. Ils entassent dans leurs phrases des mots<br />

français, latins, grecs, des mots qui ne sont d’aucune langue. 4 »<br />

Jarry s’inscrira pleinement dans cette dynamique, ainsi que l’a distingué François Caradec :<br />

« [Il] emploie au même degré les langues vivantes (le breton, l’allemand et l’anglais qu’il traduit),<br />

les langues mortes (le latin, le grec, l’ancien français), les langues symboliques (l’héraldique, le<br />

belge de Bosse-de-Nage), etc. – toutes ces langues (et les jeux qu’elles échangent) concourant à<br />

1 OC II, p. 367.<br />

2 Léon Bloy, Belluaires et porchers, Stock, 1905, p. 219.<br />

3 Jean de Palacio, « Réécritures litaniques fin-de-siècle », Configurations décadentes, Éditions Peeters,<br />

collection La république des lettres, 33, 2007, p. 92.<br />

4 Le Mercure de France, n° 19-24, tome III, juillet-décembre 1891, p. 320.<br />

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