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aimer[ait] beaucoup et qui pourtant ne serait pas trop abstrus », « la première fois 1 » tout du<br />

moins, histoire de laisser les lecteurs de la revue s’habituer peu à peu à son style.<br />

Pour comprendre la portée de la précision apparemment anodine (« (la première fois !...) 2 »)<br />

de Fénéon, l’on peut rattacher avec profit celle-ci à la lettre qu’envoie André Gide à Jacques<br />

Rivière le 14 janvier 1909 : « Je viens de lire très attentivement votre « essai sur une métaphysique<br />

du rêve », où je sais voir des qualités exquises et déjà très sûres d’elles-mêmes, qui précisément me<br />

donnent un désir de vous connaître mieux. Si ambitieux que je sois pour l’excellence de notre<br />

revue, ces pages ne me paraissent pas indignes d’elle – mais je ne me persuade pas qu’il soit très<br />

bon pour vous de débuter ainsi. Pour goûter les qualités de votre essai, il faut le lire avec une<br />

attention prévenue – c’est ce qu’on ne fera pas ; déjà le titre rebute (j’avoue qu’il m’effrayait) et<br />

vous serez lâché dès la troisième page par « le lecteur » que vous ne cherchez pas à retenir. Il n’en<br />

irait plus de même s’il vous connaissait d’avance par autre chose, qui lui aurait prouvé qu’il peut<br />

se fier à vous 3 ».<br />

L’invitation de Fénéon adressée à Jarry à rejoindre les rangs de La Revue blanche se confond<br />

en un certain sens avec une invitation à faire preuve de davantage de clarté dans son style, pour le<br />

lecteur certes, mais également afin de faciliter son intégration au sein de l’équipe des rédacteurs de<br />

La Revue blanche puisque le secrétaire de cette revue précise, avec toute la politesse et le tact<br />

nécessaires, qu’il ne doit pas être « abstrus ».<br />

Ce conseil adressé à Jarry se confond ainsi avec un désir exprimé par Fénéon de voir Jarry<br />

occuper régulièrement les pages de La Revue blanche, d’être véritablement admis au sein de cet<br />

espace éditorial, et non de s’y inscrire uniquement en tant que présence épisodique (et il est vrai<br />

que, sans doute en partie par l’entremise toujours bienveillante de Fénéon, Jarry finira par être<br />

l’auteur qui occupera le plus régulièrement les pages de La Revue blanche). L’on pourrait ainsi aller<br />

jusqu’à affirmer que ce conseil ne traduit nullement un désir exprimé par Fénéon de voir le style<br />

de Jarry évoluer vers davantage de clarté mais uniquement un désir de voir le style de Jarry lui<br />

permettre de s’inscrire durablement au sein de La Revue blanche.<br />

Car il est certain que Fénéon aime l’obscurité qui caractérise l’écriture de Jarry ; autrement<br />

n’aurait-il pas formulé cette invitation, qui l’engage personnellement, même s’il ne faut pas oublier<br />

que celle-ci fait immédiatement suite à un premier geste de Jarry dans sa direction puisque<br />

l’auteur des Minutes adresse au secrétaire de rédaction de La Revue blanche un exemplaire de César-<br />

1 Propos cité par François Caradec, « Alfred Jarry, témoin de son temps », Dir. Henri Bordillon,<br />

Alfred Jarry, « actes du colloque de Cerisy », Belfond, 1985, p. 160.<br />

2 Ibid.<br />

3 André Gide, Jacques Rivière, Correspondance 1909-1925, édition établie, présentée et annotée par<br />

Pierre de Gaulmyn et Alain Rivière avec la collaboration de Kevin O’Neill et Stuart Barr,<br />

Gallimard, 1998, p. 35.<br />

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