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3. 1. 3. Rêve d’un langage autre.<br />

Même si Joseph Delbœuf dans Le Sommeil et les rêves s’exclame : « [q]ue de comparaisons et de<br />

figures latentes émaillent le langage scientifique ! 1 », faisant référence au fait que le signe<br />

mathématique est d’abord utilisé pour « obtenir une description exacte et consensuelle », la<br />

« manipulatio[n] des signes » demeurant le « simulacre de la manipulation d’entités réelles 2 », la<br />

perception du langage mathématique par Valéry comme un langage ne devant pas naître de<br />

l’universel reportage et proposant la parfaite adéquation du signifié et du signifiant l’amène,<br />

comme du reste Jarry, à rêver pour son usage personnel un langage autre (mis en espace dans la<br />

scène infinie des Cahiers), qui ne soit pourvu ni tout à fait de signes linguistiques ni tout à fait de<br />

signes mathématiques, ses particularités idiomatiques devant conjuguer les deux aspects.<br />

Remarquons que ce rêve n’appartient bien sûr pas en propre à Valéry et Jarry. Max Nordau le<br />

moquera en écrivant dans le second tome de Dégénérescence, traduit de l’allemand par Auguste<br />

Dietrich et publié chez Alcan en 1894 : « Cet emploi d’expressions techniques et de phrases vides<br />

d’apparence scientifique est particulier à beaucoup d’écrivains dégénérés modernes et à leurs<br />

imitateurs. Ils sèment ces mots et ces expressions autour d’eux comme le « valet instruit » d’une<br />

farce allemande connue sème autour de lui ses bribes de français, mais sans être plus au courant<br />

de la science que celui-ci n’est au courant de la langue française. 3 »<br />

Ce rêve tissé par certains littérateurs d’un langage autre voisin de celui des mathématiques<br />

s’enracine ainsi très spécifiquement dans cette époque, – comme façon mallarméenne peut-on<br />

penser de faire cheminer la prose à revers du journalisme et de son pendant le roman en<br />

feuilleton –, aspirant à un accomplissement de la forme qui permettrait au sens de renouer avec la<br />

prestance des premières fois de son apparition ; il manifeste en outre une façon de ne pas renier<br />

les aspirations du symbolisme à l’obscurité, à l’étrangeté, le sens ne valant qu’en tant qu’il peut<br />

(qu’il doit) être interrogé.<br />

Remy de Gourmont écrit ainsi dans Les Chevaux de Diomède paru en 1897 : « Dans quelques<br />

siècles [...] [i]l n’y aura plus aucune littérature, ni de prose ni de vers, et la pensée s’exprimera<br />

1 Joseph Delbœuf, Le Sommeil et les rêves, Le Magnétisme animal, Quelques considérations sur la psychologie<br />

de l’hypnotisme, Fayard, collection Corpus des œuvres de Philosophie en langue française, 1993, p.<br />

152.<br />

2 Paul Caro, La vulgarisation scientifique est-elle possible ?, Presses Universitaires de Nancy, collection<br />

Les entretiens de Brabois, 1990, p. 14.<br />

3 Max Nordau, Dégénérescence, traduit de l’allemand par Auguste Dietrich, tome second,<br />

« L’Egotisme, Le réalisme, Le Vingtième Siècle », Félix Alcan, 1894, p. 108.<br />

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