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Jarry figera à son acmé (corrosive : point de non retour, où l’extrême logique atteint à la façon<br />

d’une asymptote l’absurdité la plus apparente) le principe de démonstration scientifique dans ses<br />

spéculations : il part le plus souvent d’une hypo<strong>thèse</strong> qu’il vérifie au moyen d’analogies, ou plus<br />

exactement qu’il démontre en apportant des preuves qui ont le visage grimaçant de l’analogie 1 .<br />

Si la vérité scientifique (pléonasme) n’est que la conclusion d’un artifice brillant et qui a su se<br />

faire oublier, ayant tiré d’un langage savant et souple son prestige, alors comment continuer à<br />

parler de vérité ? Car la vérité scientifique apparaît en cette fin-de-siècle comme la seule vérité qui<br />

puisse être proclamée telle.<br />

Comme le démontre Jarry dans La Chandelle Verte, en nous montrant « ce qui est possible<br />

dans l’impossible 2 », la seule vérité est celle que l’on s’est choisie (pour x raisons) et que l’on a<br />

défendue avec suffisamment de brio en la parant des attributs de l’acceptabilité (aussi la logique<br />

demeure-t-elle le moyen le plus commode pour atteindre ce but) pour qu’elle soit acceptable.<br />

La vérité, « acceptabilité rationnelle idéalisée 3 » selon la formule lumineuse d’Hilary Putnam,<br />

n’est que la conclusion sous forme de pirouette (jouissive pour le spectateur) d’un spectacle<br />

consciencieux (réunion logique d’artifices : de conventions, d’abstractions) parlant non pas à nos<br />

sens mais à la rigueur qui nous meut.<br />

Qu’il y ait une vérité scientifique fondamentale (introuvée) qui se ramifie à l’infinie, chaque<br />

avancée significative consistant en la découverte d’une de ses branches, suppose qu’il y ait une<br />

unité, un ordre etc. 4 , toutes choses qui témoignent d’une harmonie englobante, globalisante et<br />

bienfaitrice.<br />

1 Par ces analogies hors nature, qui poussent la réalité hors de ses gonds, le lecteur peut éprouver<br />

« la sensation la plus terrible » selon Comte, à savoir « celle qui se produit toutes les fois qu’un<br />

phénomène nous semble s’accomplir contradictoirement aux lois naturelles qui lui sont<br />

familières » (Auguste Comte, op. cit., p. 45). Jarry, avec La Chandelle Verte (véritable pamphlet<br />

morcelé contre le positivisme), démontre l’absurdité du « caractère fondamental de la philosophie<br />

positive » qui est « de regarder tous les phénomènes comme assujettis à des lois naturelles<br />

invariables », lesquelles doivent être découvertes et réduites « au moindre nombre possible » (Id.,<br />

p. 24-25). Or, Jarry fait l’inverse, énumère le plus de lois possible.<br />

2 Ce qui pour Valéry est ce par quoi l’on reconnaît un « maître » (Valéry, Œuvres, I, introduction et<br />

notes de Jean Hytier, introduction biographique par Agathe Rouart-Valéry, Gallimard, collection<br />

Bibliothèque de la Pléiade, 1962, p. 330).<br />

3 Hilary Putnam, Représentation et réalité, traduit de l’anglais par Claudine Engel-Tiercelin,<br />

Gallimard, collection NRF essais, 1990, p. 189.<br />

4 « [L]’unité systématique du monde » (Bergson, La pensée et le mouvant, Presses universitaires de<br />

France, collection Quadrige, 1938, p. 27) doit être remise en question selon Bergson. « [Q]ui sait<br />

si le monde est effectivement un ? L’expérience seule pourra le dire, et l’unité, si elle existe,<br />

apparaîtra au terme de la recherche comme résultat ; impossible de la poser au départ comme un<br />

principe. [...] Il faudra renoncer à tenir virtuellement dans un principe la science universelle. »<br />

(Ibid.)<br />

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