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Jarry, en ne mentionnant que très implicitement le nom des auteurs de ces morceaux choisis,<br />

fait en sorte que ces fragments deviennent, entièrement, part de l’œuvre nouvelle (en l’occurrence<br />

la sienne) qui a su les dépasser, les surpasser, alors qu’ils représentaient ce qu’il y a de plus<br />

singulier dans les œuvres auxquelles ils ont été extraits elles-mêmes révélatrices au plus haut des<br />

altérités qui les ont produites (puisque ce sont des extraits choisis par Jarry, d’œuvres elles-mêmes<br />

choisies par celui-ci ; ce double choix suggère une mise en avant de morceaux révélateurs au plus<br />

haut de la singularité d’un auteur revêtant à chaque fois pour Jarry la figure de l’altérité).<br />

Jarry use abondamment de ce processus très fécond de l’intertextualité silencieuse (ou très<br />

allusive), où les citations ne sont presque jamais identifiables au moyen de guillemets ou de<br />

références précises et où les guillemets le plus souvent égarent le lecteur, ne renvoyant<br />

précisément à aucun extrait émanant de la parole convoquée mais mettant en avant le propos<br />

même de celui qui se tient dans la posture de celui qui rapporte la parole, en l’occurrence Jarry.<br />

Par l’absence de guillemets ou leur dénaturation en tant que marqueur de parole rapportée,<br />

Jarry affirme à tout moment dans le processus de l’écriture la valeur de sa signature. « Signer, c’est<br />

prendre à son compte un énoncé. Mais énoncer, c’est déjà en soi prendre à son compte un<br />

énoncé, un discours, une proposition, un segment linguistique. Plus précisément, énoncer, c’est à<br />

la fois asserter (produire une assertion, une proposition) et prendre à son compte l’assertion (cette<br />

assertion). 1 »<br />

Si la parole émanant de l’altérité ne peut plus être identifiée comme parole singulière, elle<br />

perd de fait sa singularité et peut se fondre dans la parole singulière de Jarry, n’appartenant plus à<br />

un auteur mais étant une virtualité prenant pour caractéristiques la parole singulière (car identifiée<br />

comme telle, par le recours au nom d’auteur) à laquelle elle est accolée, en l’occurrence celle de<br />

Jarry.<br />

« La force assertive de la signature d’auteur, c’est la double revendication d’originalité et<br />

d’autorité, c’est-à-dire la prétention de produire un énoncé qui soit à la fois nouveau et crédible,<br />

innovationnel et vrai. 2 » En effet, la « signification étymologique du mot « auteur » (auctor) […] ne<br />

se limite pas à la notion de garantie, mais […] renvoie aussi à celle d’une production autonome,<br />

d’une création […] 3 ».<br />

À une époque où la singularité est tout, et où l’originalité est une valeur littéraire dans la<br />

mesure exacte où elle présente une idiosyncrasie parvenue à sa maturité, à son point<br />

d’efflorescence, une idiosyncrasie qui se doit d’affirmer son mépris pour le monde et les<br />

1<br />

Gérard Leclerc, Le sceau de l’œuvre, Seuil, collection Poétique, 1998, p. 23.<br />

2<br />

Id., p. 30.<br />

3<br />

Patrick Berthier, « Qu’est-ce qu’un écrivain ? », Histoire de la France littéraire, tome 3, Modernités,<br />

XIX°-XX° siècle, Presses universitaires de France, collection Quadrige, 2006, p. 683.<br />

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