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Et dès son premier recueil Les Minutes de sable mémorial, et singulièrement dans l’ensemble de<br />

trois poèmes intitulé « Tapisseries », est réapproprié le monère comme figure par excellence à<br />

même de susciter l’effroi. Un passage en particulier d’ « Au repaire des Géants » est symptomatique<br />

de cette vision particulière : « Impassibles parmi, très lentes, / Reines des épouvantements, /<br />

Voici ramper aux murs dormants / De grandes monères sanglantes. 1 »<br />

Ailleurs dans Les Minutes, les monères sont noires, toujours rattachées à une atmosphère de<br />

cauchemar : « Noires monères mobiles et cahotées, se creusent et cillent les orbites de la sirène<br />

minérale 2 » ; en effet, la couleur noire ici évoquée renvoie à l’effroi qui se fait jour dans<br />

« L’odorat » présent au sein du même ouvrage : « Tout est noir, les astres sont irréparablement<br />

fuis du ciel, et le noir est absolu partout, sans nul clapotement glauque. 3 »<br />

Si les monères suscitent l’effroi sans bornes, c’est, peut-on penser, parce que la définition de<br />

« monère » dans le Nouveau Larousse illustré (Paris, 1903), comme l’indique Frédéric Chambe,<br />

indique qu’il « peut changer de forme, grandir, se reproduire par scission, émettre des<br />

prolongements, s’emparer de minuscules animaux et les manger en les dissolvant, en les<br />

incorporant à sa propre substance 4 ».<br />

Sans identité véritable, car sans identité que l’on puisse figer sous une forme, et menaçant<br />

l’identité des minuscules animaux qui le croisent jusqu’à la réduire au néant, se l’accaparant au<br />

point qu’elle devienne sa propre identité sans caractéristique autre finalement qu’une capacité à<br />

nuire à l’identité des organismes alentour, le monère s’affirme comme une véritable « machine à<br />

décerveler ». On comprend alors pourquoi Jarry en a fait la créature de cauchemar par excellence.<br />

Le terme « épouvantement » qu’utilise Jarry pour évoquer les monères est un néologisme<br />

(second de la série de poèmes intitulée « Tapisseries », après stiller ; choix par lequel Jarry inscrit<br />

sa poésie dans un raffinement curieux – voulu tel, c’est-à-dire singulier – seul à même de pouvoir<br />

également signifier quelque chose de la terreur et de la fascination que lui inspirent les aquarelles<br />

de Munthe à partir desquelles il construit l’ensemble des poèmes de cette série) pouvant signifier<br />

selon le GDU tout à la fois « terreur d’une personne épouvantée » et « objet qui inspire<br />

l’épouvante » : il renvoie à l’effroi d’un autre poème de l’ensemble des « Tapisseries », en<br />

l’occurrence le premier. Dans les deux cas, l’épouvante naît d’animaux : le monstre assimilé au<br />

silence dans le premier poème, et les monères dans le second.<br />

1 Id., p. 205.<br />

2 Id., p. 186.<br />

3 Id., p. 207.<br />

4 Frédéric Chambe, « Jarry, Haeckel, Monère, Bathybius », L’Étoile-Absinthe, 31 ème et 32 ème<br />

tournées, Castelnau de Montmiral, Société des amis d’Alfred Jarry, 1986, p. 26.<br />

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