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Jarry rattache à sa prose poétique, par le simple biais d’une présence onomastique – précisée par<br />

l’appellation d’une œuvre ?<br />

Il faut se tourner vers le second tome de Raphaël et l’antiquité de François-Anatole Gruyer<br />

paru en 1864 pour être à même de pouvoir répondre : la « carcasse » est « [une] composition,<br />

connue en Italie sous le nom de la Stregozza, [...] des plus extraordinaires et des plus inexplicables.<br />

Une sorcière assise, comme dans un char triomphal, sur le squelette colossal d’un monstre, est<br />

entraînée par deux hommes vigoureux à travers un marais. Un de ces hommes emporte sous son<br />

bras un enfant mort, et à côté l’on aperçoit encore des enfants que la mort poursuit aussi. Deux<br />

autres hommes, armés d’os gigantesques, suivent en courant la terrible vieille, tandis qu’à côté un<br />

damné galope sur la carcasse d’un bélier fantastique. Un jeune garçon, monté sur un bouc,<br />

précède le cortége [sic]. Les roseaux s’inclinent devant l’horreur de cette apparition, et une bande<br />

de canards sauvages effrayés s’envole en remplissant l’air de cris lamentables. De quelque côté<br />

qu’on jette le regard, on ne voit que des appareils de mort, des images étranges et lugubres. La<br />

sorcière est vue de profil : son regard est impitoyable, sa bouche ouverte exhale la malédiction, sa<br />

longue chevelure traîne et flotte derrière elle comme des flammes dévorantes. Elle a entassé<br />

devant elle des enfants que la mort menace ou qu’elle a frappés déjà. Vainement ils l’implorent,<br />

vainement ils élèvent vers elle leurs petits bras suppliants. Elle pose inexorablement sa main<br />

droite sur ces têtes fragiles, tandis que de son bras gauche elle enlace un vase d’où s’échappent<br />

des vapeurs remplissant l’air de miasmes impurs… Que signifie cet horrible symbole ? C’est ce<br />

qu’on n’a jamais déterminé d’une manière précise. Ne serait-ce pas cependant l’écho de quelque<br />

ancienne légende empruntée aux maremmes toscanes désolées par les fièvres ? Ne pourrait-on<br />

pas voir dans cette sorcière une personnification du fléau destructeur ? [...] Quoi qu’il en soit,<br />

cette composition est fort belle ; et, bien qu’elle ait donné lieu à de nombreuses contradictions, il<br />

semble difficile d’en méconnaître l’authenticité. Tous les personnages sont nus, et c’est<br />

précisément par l’examen attentif des figures nues qu’on reconnaît Raphaël. 1 »<br />

Aussi Jarry cherche-t-il à grandir sa prose poétique au moyen de ce qu’elle ne pourra jamais<br />

s’approprier, en comptant fortement sur la prestance avec laquelle un référent appartenant<br />

irrémédiablement à l’altérité – laquelle est ontologiquement synonyme d’étrangeté – (il s’agit en<br />

l’occurrence du signe graphique) peut faire sens dans la contemporanéité de l’écriture et de la<br />

lecture qui suit cette dernière, dès parution des Minutes.<br />

1 François-Anatole Gruyer, Raphaël et l’antiquité, tome second, Vve J. Renouard, 1864, p. 77-78.<br />

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