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Jarry, la démocratisation qui épouse invariablement pour les auteurs de sa génération les<br />

frémissements du suffrage universel au point de se confondre avec lui fusionne inéluctablement<br />

avec la presse : « PYAST. – Qu’est-ce que c’est que son suffrage universel ? Le suffrage universel<br />

est celui où on met un sou par jour pour avoir un journal du jour. 1 » Si Jarry écrit dans sa<br />

chronique « La cervelle du sergent de ville » parue dans La Revue blanche le 15 février 1901 : « C’est<br />

une des gloires de ce siècle de progrès que la grande diffusion de la feuille imprimée ; et en tout<br />

cas il n’est point douteux que cette denrée s’atteste moins rare que la substance cérébrale », c’est<br />

bien évidemment par ironie. Jarry fait ici une allusion possible à Mademoiselle de Maupin de<br />

Théophile Gautier : « Une des choses les plus burlesques de la glorieuse époque où nous avons le<br />

bonheur de vivre est incontestablement la réhabilitation de la vertu entreprise par tous les<br />

journaux […] 2 ». Mais surtout il exprime de façon détournée une idée répandue – à cette époque<br />

de mépris partagé par nombre d’écrivains pour la démocratie – que formulera par exemple<br />

clairement Paul Valéry : « L’homme moderne n’a guère que les journaux pour nourriture de son<br />

esprit 3 ».<br />

En s’opposant à la presse, Jarry s’oppose ainsi à la démocratisation, tissant sa filiation avec Le<br />

Mercure de France puisque Vallette écrit par exemple dans Le Mercure de France en 1893 (mais il est<br />

vrai que cette idée était alors extrêmement répandue, notamment parmi les artistes) qu’il faut<br />

« simplement combattre, sans la jeter bas, la sotte, la déplorable, la malfaisante idée de cette<br />

institution ridicule : le suffrage universel… 4 »<br />

Si la démocratisation est aussi nettement vilipendée, c’est parce qu’elle témoigne, pour les<br />

auteurs voulant renouer avec une idée de l’élite littéraire, d’une prise de pouvoir par la foule, et<br />

ainsi d’un triomphe de la médiocrité, ainsi que l’exprime Paul Laffitte dans Le Paradoxe de l’égalité<br />

dès 1887 : « L’avènement du suffrage universel a été un coup de théâtre ; les masses ont conquis<br />

le pouvoir politique avant d’avoir reçu l’éducation politique ; la majorité est plus persuadée de ses<br />

droits que de ses devoirs ; […] organiser la démocratie ou être emportés par le flot de la<br />

médiocrité, c’est l’alternative où nous sommes placés. 5 »<br />

1 Bouquin, p. 612-613.<br />

2 Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, chronologie et introduction par Geneviève van den<br />

Bogaert, Garnier Flammarion, 1966, p. 25.<br />

3 Paul Valéry, Œuvres, I, édition établie et annotée par Jean Hytier, introduction biographique par<br />

Agathe Rouart-Valéry, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 1957, p. 1140.<br />

4 Le Mercure de France, n° 45-48, tome IX, septembre-décembre 1893, p. 359.<br />

5 Paul Laffitte, Le Paradoxe de l’égalité, Librairie Hachette et Cie, 1887, p. XV.<br />

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