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Mauclair affirme « qu’il y a deux clartés : celle qui consiste à exprimer comme tout le monde<br />

les pensées de tout le monde, la clarté des commerçants, des politiciens et des journalistes, et celle<br />

qui rehausse d’une forme éclatante de justesse, d’énergie et de poésie les pensées uniques d’une<br />

âme régnant seule dans son royaume : c’est la clarté d’Edgar Poe, d’Emerson ou d’Ibsen, celle<br />

dont je parle ici. 1 »<br />

Jarry inverse cet énoncé en considérant qu’il y a deux obscurités, et adopte au sein de sa<br />

formulation la même dynamique que celle présente dans le propos de Mauclair, privilégiant la<br />

seconde obscurité au détriment absolu de la première, et ne parlant également en définitive que<br />

de la seconde, exactement comme le fait l’auteur du Soleil des Morts avec la clarté.<br />

Dans Les Minutes, Jarry écrit ainsi notamment : « […] voici le critère pour distinguer cette<br />

obscurité, chaos facile, de l’Autre, simplicité condensée, diamant du charbon, œuvre unique faite<br />

de toutes les œuvres possibles offertes à tous les yeux encerclant le phare argus de la périphérie<br />

de notre crâne sphérique 2 ».<br />

Ce faisant, Jarry cherche, semble-t-il, à enraciner son identité dans celle du Mercure de France,<br />

au travers de la figure de Remy de Gourmont, car l’auteur de « Haldernablou » semble ici<br />

chercher à se placer dans la lignée de l’article de Gourmont « Celui qui ne comprend pas » au<br />

cours duquel l’auteur de Sixtine énonce notamment : « De tous les plaisirs que peut procurer la<br />

Littérature le plus délicat est certainement : « Ne pas être compris ! » 3 », article qui sera en outre<br />

mis en exergue dans Le Mercure de France dès 1892 en étant qualifié de « jolie ironie 4 ».<br />

Jarry est très proche de la perception qu’a Gourmont de l’obscurité car il ne s’agit pas pour<br />

lui d’interroger, pour reprendre la formulation de Mallarmé, ce qui « abscons, signifiant fermé et<br />

caché », « habite le commun 5 », mais de faire de l’obscurité la résultante sensible de l’idiosyncrasie.<br />

Pour Gourmont, « [l]’écrivain doit être personnel, nouveau, différent : il doit accepter son<br />

idiosyncrasie et en tirer tout ce qu’elle peut donner : ne pas être dupe du mirage de la perfection<br />

et préférer à celle-ci l’originalité. 6 » Ne pas être compris signifie dès lors se placer au-delà du sens<br />

commun, et ce dans son être même, posture de dandy en lutte avec la démocratisation.<br />

Qu’avec le « Linteau » Jarry cherche à s’affirmer proche de Remy de Gourmont est d’autant<br />

plus perceptible si l’on s’aperçoit que la raison même de l’existence du « Linteau » et la<br />

1<br />

Le Mercure de France, n° 53-56, tome XI, mai-août 1894, p. 17.<br />

2<br />

OC I, p. 172.<br />

3<br />

Remy de Gourmont, « Celui qui ne comprend pas », Essais d’art libre, revue mensuelle, tome II,<br />

août 1892-janvier 1893, Genève, Slatkine Reprints, 1971, p. 1.<br />

4<br />

Le Mercure de France, n° 33-36, tome VI, septembre-décembre 1892, p. 184.<br />

5 Mallarmé, op. cit., p. 230.<br />

6 CARAMASCHI, p. 109.<br />

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