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ne sai[t] quel index de notre sensibilité, et de nous rendre par le plus court un certain maximum de<br />

liberté ou de disponibilité de notre sens 1 » (Pièces sur l’art).<br />

Il faut ainsi atteindre à une « véritable ascèse de la vision permettant de la débarrasser de tout<br />

pré-concept, de toute forme de prévention 2 » : la vision ne doit plus être prévenue, ni protégée :<br />

elle doit être plaque photographique réagissant au moindre signe, à tous les signes sans exception,<br />

et non plus suivant le travail de la conscience, laquelle classe et déclasse sans cesse (dans un<br />

mouvement immuable qui se confond avec l’expression de l’identité du sujet) la matière<br />

domestiquée par nos sens.<br />

Pour Valéry comme pour Jarry 3 , la primitivité (ou naïveté) du regard est indispensable pour<br />

qui veut atteindre à la connaissance du monde, et de soi. Il faut casser l’automatisme perceptif,<br />

afin de pouvoir « re-percevoir » comme pour la première fois le monde et les objets qui le<br />

composent (ainsi, la conscience ne séparant plus d’elle-même les entités, ce qui est amalgame<br />

paraît unitaire : « le cocher est un cavalier à roulettes 4 », note Jarry).<br />

Ce faisant, ces deux auteurs répondent à l’injonction d’Henri Bergson proférée dans Le rire,<br />

« essai sur la signification du comique » : « Tâchez de voir avec vos yeux seulement. Ne<br />

réfléchissez pas et surtout ne raisonnez pas. Effacez l’acquis ; allez à la recherche de l’impression<br />

naïve, immédiate, originelle. 5 »<br />

Cette naïveté souhaitée n’est que le stade extrême d’une déshumanisation de notre regard (il<br />

s’agit de lui ôter tout ce qui nous définit en tant qu’hommes vivant parmi d’autres hommes). Afin<br />

que celle-ci puisse avoir lieu 6 , la science est utile : elle « déprécie nos images naïves, et jusqu’à<br />

notre faculté d’imaginer, qui est dérivée de nos expériences et habitudes corporelles », « retire<br />

même à l’homme sa notion du savoir : essences, principes, catégories, déductions, ces simulacres<br />

1<br />

Paul Valéry, Œuvres, II, op. cit., p. 1342. C’est bien du retour au zéro qu’il s’agit, lequel est un<br />

retour en arrière visant à interrompre brusquement la série d’actes automatiques (que sont nos<br />

regards) fondés sur la répétition d’un mécanisme appris (intégré par la conscience et<br />

l’inconscient).<br />

2<br />

Paul Valéry, CAHIERS 11, p. 417.<br />

3<br />

Ils annoncent Merleau-Ponty (Le visible et l’invisible) et rejoignent certaines considérations sur<br />

« l’expérience pure » chez Husserl (Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie<br />

phénoménologique).<br />

4<br />

Alfred Jarry, La Chandelle verte, lumières sur les choses de ce temps, édition établie et présentée par<br />

Maurice Saillet, Le Livre de poche, 1969, p. 343.<br />

5<br />

Henri Bergson, Le rire, essai sur la signification du comique, Presses universitaires de France,<br />

collection Quadrige, 2007, p. 18.<br />

6<br />

La déshumanisation, comme c’est le cas avec Marcueil, conduit vers la pureté du non-su, amène<br />

à considérer la répétition non plus comme répétition mais comme témoignage du tremblement<br />

non encore domestiqué des sens – comme d’une conscience qui s’éveille, par hoquets successifs.<br />

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