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C’est pour cette raison que Jarry va jusqu’à écrire dans Les jours et les nuits que « l’œuvre<br />

d’art […] ne la regarde pas. 1 » Ici, Jarry lorsqu’il écrit « l’œuvre d’art » pense spécifiquement à<br />

l’œuvre d’art contemporaine. En effet, si la foule ne peut saisir l’art, c’est parce qu’elle est<br />

absolument rétive à la nouveauté, quelle qu’elle soit, en matière d’art, aussi la foule ne peut-elle<br />

« sa[voir] que Verlaine existe [que] depuis qu’il est mort 2 ». Dans Les Jours et les Nuits, il écrit ainsi<br />

que la foule est « la grande héméralope, qui ne sait voir qu’à des lueurs connues [...] 3 ».<br />

L’auteur de La Chandelle verte rend apparent le fait qu’elle ne soit pas apte à la compréhension<br />

en spécifiant dans Faustroll qu’elle est composée notamment des « petits enfants et [d]es<br />

femmes 4 », précision qui ne permet bien sûr nullement de la nombrer car le propre de la foule est<br />

d’être toujours « une foule sans nombre 5 », ainsi que l’écrit déjà Jarry dans Les Minutes. Dans sa<br />

chronique « L’auto populaire », il va ainsi jusqu’à la décrire, formulation qui doit être comprise à<br />

la lueur de sa misogynie militante, comme étant « Madame la Foule, cette petite dame qui se plaît<br />

à singer les grandes […] 6 » (et il est vrai que la majeure partie de la foule, c’est-à-dire du public,<br />

c’est-à-dire du lectorat, était alors constituée de femmes).<br />

Cette incompréhension qui définit pour Jarry l’identité de la foule naît de l’illettrisme qui la<br />

caractérise ontologiquement, illettrisme dont l’attachement à la presse qui définit en propre la<br />

foule est le plus grand signe, ce terme devant être compris ici dans le sens principalement<br />

d’inculture mais également de non respect des règles syntaxiques et lexicales, de méconnaissance<br />

foncière de la langue. Écrire que « le public [est] illettré par définition 7 » équivaut ainsi pour Jarry à<br />

reconnaître que la « foule […] ignore Rimbaud, sait que Verlaine existe depuis qu’il est<br />

mort [...] 8 ».<br />

Néanmoins, Jarry ne s’inscrit pas ici dans un élan de pensée singulier puisque cette<br />

conception était alors très répandue. Ainsi, pour ne parler que d’ouvrages que Jarry connaissait<br />

avec certitude et desquels il s’est inspiré, le « comme un Défi à la Foule infâme ! 9 » de Maîtresse<br />

d’esthètes fait écho au « brouhaha des immondes foules 10 » de À rebours qui renvoie lui-même à<br />

l’expression du « Poëte » dans Faust traduit par Nerval : « Ne me retracez point cette foule<br />

insensée, / Dont l’aspect m’épouvante et glace ma pensée, / Ce tourbillon vulgaire, et rongé par<br />

1 Id., p. 815.<br />

2 Id., p. 417.<br />

3 Id., p. 788.<br />

4 Id., p. 669.<br />

5 Id., p. 196.<br />

6 OC II, p. 503.<br />

7 OC I, p. 415.<br />

8 Id., p. 417.<br />

9 Willy [Jean de Tinan], op. cit., p. 38.<br />

10 J.-K. Huysmans, À rebours, Pocket, 1999, p. 64.<br />

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