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En effet, la valorisation que fait Jarry de l’histoire passe par l’exaltation de l’individu au<br />

mépris de la foule, en somme s’opère suivant une critique à peine dissimulée de la démocratie.<br />

Max Nordau écrit dans Dégénérescence : « L’homme banal cherche toujours à penser, à sentir, à<br />

faire la même chose que la foule ; le décadent, lui, cherche exactement le contraire. Tous deux<br />

tirent donc leur manière de voir et leurs sentiments non de leur intérieur, mais se les laissent<br />

dicter par la foule. 1 » Mallarmé note ainsi, cristallisant un topos : « Rappelons-nous que le poëte<br />

(qu’il rythme, chante, peigne, sculpte) n’est pas le niveau au-dessous duquel rampent les autres<br />

hommes ; c’est la foule qui est le niveau, et il plane. 2 » Remy de Gourmont dans son article<br />

intitulé « L’Art Libre et l’esthétique individuelle » remarque que « chaque artiste nouveau [est]<br />

exhibé devant la foule stupide qui n’admet pas que l’on puisse différer de la médiocrité moyenne<br />

enseignée par l’État. 3 » Jarry quant à lui, à leur suite, proclame que « la foule est une masse inerte<br />

et incompréhensive et passive […]. Elle est assez inoffensive, malgré qu’elle soit le nombre, parce<br />

qu’elle combat contre l’intelligence. 4 »<br />

Si elle « combat contre l’intelligence », c’est parce qu’elle s’oppose à l’individu singulier, et<br />

donc supérieur. Après avoir noté qu’il « y a dans tout l’univers cinq cents personnes qui so[n]t un<br />

peu Shakespeare et Léonard par rapport à l’infinie médiocrité 5 », l’auteur du Surmâle écrit ainsi<br />

dans sa chronique intitulée « La conquête individuelle » : « Dans la pratique, donc, la majorité a<br />

toujours raison, et tout citoyen patenté doit être aimable avec la pratique. Dans l’Histoire, et<br />

belliqueusement parlant, c’est la poignée d’hommes qui l’emporte, et cela fait autant de noms de<br />

moins qui ne surchargeront pas la mémoire de nos fils. Où sont les dénombrements de la guerre<br />

de Troie ? 6 »<br />

Ce faisant, l’auteur de Messaline poursuit le propos de Louis Lormel dans son article intitulé<br />

« L’Art et l’Anarchisme » qu’il a lu avec certitude puisqu’il a paru dans L’Art littéraire en mars-avril<br />

1894 : « Que nous importe l’affranchissement du plus grand nombre ? […] Notre anarchisme est<br />

tout aristocratique, les intelligences supérieures devant fatalement prédominer. En ce sens,<br />

Napoléon I er est un admirable prototype : il a soumis l’Europe à son moi. 7 » Cette conception<br />

était alors répandue puisqu’André Gide note par exemple dans « Souvenirs littéraires et<br />

1<br />

Max Nordau, Dégénérescence, tome second, « L’Egotisme, Le réalisme, Le Vingtième Siècle »,<br />

traduit de l’allemand par Auguste Dietrich, Félix Alcan, 1894, p. 115.<br />

2<br />

Mallarmé, Œuvres complètes, II, édition présentée, établie et annotée par Bertrand Marchal,<br />

Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 2003, p. 362.<br />

3<br />

Essais d’art libre, « revue mensuelle », tome I, février-Juillet 1892, Genève, Slatkine Reprints,<br />

1971, p. 193.<br />

4<br />

OC I, p. 417.<br />

5<br />

Id., p. 406.<br />

6<br />

OC II, p. 507.<br />

7<br />

L’Art littéraire, nouvelle série, n° 3-4, troisième année, mars-avril 1894, p. 34.<br />

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