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Monsieur, que c’est bien cet état qui constitue la mort 1 », Jarry fait référence à un passage précis<br />

des Conférences de Kelvin : « Vous ne m’accuserez pas, je l’espère, d’abuser de votre bienveillance<br />

par de pures frivolités, si je vous demande d’arrêter encore un peu votre pensée sur les unités qui<br />

forment le bagage de notre voyageur idéal, parti pour une exploration scientifique à travers<br />

l’Univers. Pour moi, le moyen le plus court et le plus sûr d’atteindre la philosophie de la science<br />

des mesures, une juste compréhension de ce que nous entendons par mesure, chose essentielle<br />

pour la pratique intelligente du simple art de mesurer, c’est, je crois, de rompre tout lien avec la<br />

Terre, et de songer à ce qu’il faudrait faire pour effectuer des mesures qui pussent être comparées<br />

d’une manière définie avec celles que nous faisons actuellement, dans nos ateliers et nos<br />

laboratoires terrestres. Supposez donc que le voyageur ait perdu sa montre, et son diapason, et sa<br />

règle de mesure, mais qu’il ait gardé ses livres scientifiques, ou à tout le moins, qu’il ait dans son<br />

esprit un souvenir complet et une pleine intelligence de leur contenu : comment va-t-il retrouver<br />

son centimètre et sa seconde de temps solaire moyen ? 2 »<br />

Que Jarry retienne ce passage parmi tous les autres est hautement signifiant (c’est sur celui-ci,<br />

peut-on penser, que l’enthousiasme de sa lecture des travaux de Kelvin s’est le plus cristallisé, car<br />

il semble en parler de mémoire). En effet, c’est dans ce passage surtout (il n’est ainsi en rien<br />

révélateur de l’ensemble de l’ouvrage) que très spécifiquement la narration chemine vers le<br />

merveilleux, prenant la « frivolit[é] », qui n’est de facto que pure invention, se tenant dans le<br />

domaine de l’impossible, comme cadre (paradoxalement, l’impossible est ici ce qui peut être<br />

reconnaissable par l’auditoire et qui permet ainsi à son écoute d’être modulée à partir du connu),<br />

afin de permettre à l’auditoire de comprendre (de saisir) un propos scientifique difficile à saisir<br />

sans illustration, du fait de son caractère extrêmement ardu et inédit : ainsi Kelvin fait-il ici très<br />

proprement, d’une certaine façon, œuvre de vulgarisateur, dans la lignée de Flammarion dont<br />

Jarry se moque par ailleurs.<br />

Mais l’auteur de Messaline ne tient nullement compte de cet aspect : il nie absolument le fait<br />

que la narration puisse être didactique en permettant que puisse s’articuler l’apprentissage d’un<br />

savoir, fidèle en cela à sa vision de la vulgarisation, qu’il exècre, mais la considère comme la<br />

finalité du propos de Kelvin, comme s’il s’agissait pour ce scientifique de se servir de la science<br />

comme point de départ pour aller vers le merveilleux – en somme d’outrepasser ses fonctions.<br />

3. 13. Kelvin reliant Jarry et Valéry.<br />

1 OC I, p. 726.<br />

2 Sir William Thomson (Lord Kelvin), op. cit., p. 73.<br />

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