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comme un sujet, mais comme un cas médical ou encore à la prétention affichée d’évoquer les<br />

masses, les groupes sociaux 1 », et l’on sait le mépris absolu de Jarry pour la « foule ».<br />

Comme l’écrit Camille Lemonnier dans une étude d’abord publiée dans le journal L’Artiste<br />

du 27 janvier et du 24 février 1878 : « [l]e naturalisme en art est la recherche du caractère par le<br />

style, de la condition par le caractère, de la vie entière par la condition : il procède de l’individu au<br />

type et de l’unité à la collectivité 2 ». Cette démarche, note René-Pierre Colin, « battait en brèche le<br />

point de vue spiritualiste sur la liberté du sujet et mettait en question la notion d’âme dont la<br />

philosophie dominante faisait encore un large usage. Étudier un personnage à la lueur de son<br />

tempérament, de son hérédité, de son milieu, c’était douter de son autonomie, faire de lui,<br />

exclusivement, un être soumis à des influences naturelles ou sociales, la Nature et la Société<br />

entretenant d’ailleurs un étroit rapport d’analogie. 3 »<br />

Et l’on sait combien Jarry donnera de l’importance à la façon suivant laquelle l’être peut<br />

s’extraire de tous les déterminismes pour s’affirmer dans une liberté libre, et dans une puissance<br />

singulière qui excède tous les formalismes, surpasse toutes les collectivités (ainsi Erbrand<br />

Sacqueville dans « La Bataille de Morsang » tient-il en échec une armée entière), et est telle qu’elle<br />

paraît en mesure de pouvoir dicter ses conditions à la vie 4 mais également, aussi paradoxal que<br />

cela puisse paraître, à la marche altière de l’univers.<br />

Ainsi, cette haine à l’encontre de Zola semble de prime abord refléter un sentiment partagé<br />

par nombre d’écrivains symbolistes (ou post-symbolistes) de la génération de Jarry, et ainsi ne pas<br />

faire sens en soi, autrement que comme un désir exprimé par l’auteur des Minutes de sable mémorial<br />

d’inscrire son goût dans une filiation, d’enraciner en force son idiosyncrasie dans le terreau d’une<br />

génération de poètes réagissant de virulente façon contre le naturalisme parlant certes de<br />

la « foule », au travers de la myriade d’entités prétendument identifiables qui la constituent, mais<br />

surtout triomphant auprès d’elle, et donnant de ce fait à un genre, le roman, toute son<br />

importance, puisque, comme l’a montré Pierre Bourdieu, le roman « acquiert un poids<br />

considérable dans le champ littéraire lorsque, avec Zola, il obtient des succès de vente<br />

exceptionnels (donc des gains très importants qui lui permettent de s’affranchir de la presse et du<br />

feuilleton), en touchant un public beaucoup plus vaste qu’aucun autre mode d’expression, mais<br />

sans renoncer aux exigences spécifiques en ce qui concerne la forme 5 » – cette réaction contre le<br />

1<br />

Ibid.<br />

2<br />

Camille Lemonnier, « Courbet et son œuvre », Les Peintres de la vie, A. Savine, 1888, p. 23-24.<br />

3<br />

René-Pierre Colin, op. cit., p. 125<br />

4<br />

En ce sens, la littérature, fruit de l’homme à la singularité affirmée, dicte ses conditions à la vie<br />

selon Jarry, idée qu’il développe à plusieurs reprises dans ses chroniques.<br />

5<br />

Bourdieu, Les règles de l’art, Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, collection Libre examen<br />

politique, 1992, p. 167.<br />

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